Affaire des caricatures :« La crise actuelle a peu à voir avec la question de l’image dans l’islam »
Dès le XIIIe siècle, la piété populaire a connu des représentations du Prophète. « Ce n’est pas la représentation en tant que telle qui pose problème, mais ce qu’on en fait ». L’interdiction de représenter des êtres animés n’est pas, contrairement à ce que croit d’ordinaire l’opinion, prescrite par le livre sacré des musulmans.
«Le Coran n’interdit aucune image. Le hadith (recueil des actes et paroles de Mahomet sur lequel se fonde en partie la loi islamique), qui est hostile aux images, n’interdit en revanche pas celle du prophète », précise Silvia Naef, professeur adjoint au sein de l’Unité d’arabe de la Faculté des Lettres de Genève. Par contre, on trouve dans le Coran l’interdiction expresse de fabriquer des idoles. Ce sont les docteurs de la loi qui, se référant à ce passage à la fin du VIIIe et surtout au IXe siècle, ont passé de l’interdiction de la fabrication d’idoles à celle de la représentation d’êtres animés.
Contre le polythéisme
A l’origine, l’interdiction d’adorer des divinités sous forme de statuettes visait à lutter contre le polythéisme répandu dans l’Arabie antéislamique. La condamnation des représentations plastiques des êtres vivants par les religieux « a été diversement suivie selon les périodes et les régions soumises à l’Islam », constate Yves Besson, enseignant à Fribourg et spécialiste du Moyen-Orient. Les palais omeyades des déserts de Syrie et d’Irak étaient décorés de mosaïques, de fresques murales et de stucs représentant des courtisans, des animaux et le calife lui-même. Les miniatures persanes, la céramique, le travail du métal ou le tissage ont représenté souvent être humains et animaux.
Si l’interdiction de l’image fut observée dans des contextes religieux, comme les mosquées, leur mobilier, les illustrations du Coran et leurs étuis, elle ne toucha pas les domaines plus profanes. « Il y a eu dans la piété populaire des représentations du Prophète ; la plus ancienne figure dans un manuscrit profane du XIIIe siècle. De même il y eut dans les palais omeyades des objets en forme d’animaux ou des assiettes figuratives», ajoute Silvia Naef. L’idée que Dieu est perfection et que l’homme ne peut égaler ce que Dieu a créé a incité les artistes oeuvrant dans les lieux sacrés à développer une représentation calligraphique et géométrique de la nature, par exemple pour figurer le paradis.
Une frustration à l'égard de l'Occident
Alors que le christianisme a fait de l’image un moyen d’évangéliser les masses, « c’est la parole, le prêche du vendredi qui a rempli ce rôle » dans l’islam, puisque la présence d’images rend un lieu impropre à la prière. Dans un contexte profane, par contre, « les peintres et les dessinateurs qui accompagnaient l’expédition de Bonaparte en Egypte, en 1798, ont suscité l’admiration de lettrés musulmans par leurs représentations de Mahomet ». Ce n’est donc « pas tant la représentation en tant que telle qui pose problème, mais ce qu’on en fait », estime Silvia Naef, pour qui « la crise actuelle n’a que peu à voir avec la question de l’image dans l’Islam. Ces réactions expriment une frustration à l’égard de l’Occident qui ne peut s’exprimer autrement ». Si elle juge que certaines caricatures se distinguent par « leur méchanceté », la violation de l’interdiction de représenter le Prophète apparaît comme « un prétexte pour révéler des tensions, au Danemark ou en France, qui traduisent les problèmes de cohabitation rencontrés par les musulmans dans ces pays ».
A lire
Y a-t-il une question de l’image en Islam ?, Editions Téraèdre, 2004.