Réaction réformée à l’élection du pape :« L’Eglise ne se vit pas au somment d'un trône »

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Réaction réformée à l’élection du pape :« L’Eglise ne se vit pas au somment d'un trône »

21 avril 2005
Pourvu que Benoît XVI soit plus ouvert que Josef Ratzinger: alors que dans sa première homélie de mercredi, le nouveau pape assurait vouloir « s’engager dans l’unité des chrétiens », le monde réformé se montre partagé entre crainte et espoir
Et rappelle que la réalité locale n’est pas forcément celle de Rome. « Une journée noire pour l'oecuménisme ». Joël Stroudinsky, président de l’Eglise protestante genevoise (EPG), s’avouait mercredi sur les ondes de la radio romande « consterné » par le choix du successeur de Jean-Paul II. Jean Biondina, qui s’apprête à devenir le directeur de l’institution du bout du lac, se dit également « très déçu » par cette annonce. Des blessures encore ouvertesDe manière générale, l’élection du prélat allemand par le conclave ne réjouit guère le monde protestant. Et pour cause. Alors qu’il fut autrefois, à l’époque de Vatican II, considéré comme un professeur de théologie plutôt progressiste, Josef Ratzinger est devenu de plus en plus conservateur après sa nomination comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi par Jean-Paul II en 1981. Celui que l’on surnomme bientôt « Panzer Kardinal » mène l’offensive contre la théologie de la libération, dénonce l’homosexualité, le féminisme et le pluralisme religieux, n’apprécie guère les théologiens d’avant-garde. « On vient de nommer quelqu’un dont tous les écrits de ces dernières années nient aux protestants le statut d’Eglise, rappelant que pour le Saint Siège, l’Eglise catholique romaine est la seule Eglise universelle du Christ », explique Antoine Reymond, porte-parole du Conseil synodal vaudois.

En 2000, la déclaration « Dominus Iesus » fait l’effet d’une torpille pour tous les chrétiens engagés dans le dialogue oecuménique en rappelant la primauté de l’Eglise romaine. « En tant que chrétiens qui confessons Jésus, nous nous sommes sentis blessés de ne pas être reconnus comme appartenant pleinement à l'Eglise universelle du Christ », rappelle le pasteur Thomas Wipf, président du conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS).

Quelques années plus tard, en 2003, Ratzinger enfoncera le clou avec l’encyclique « Ecclesia de Eucharistia », soulignant avec force l’interdiction du partage eucharistique. Les prises de position de ce brillant intellectuel, austère gardien du dogme, inquiètent aussi une partie des catholiques, notamment les femmes qui ont vécu comme un camouflet et une régression théologique son opposition à leur engagement plus actif dans l’Eglise, sans même parler d’ordination.

Pourtant, l’espérance demeure. Le nouveau pape a insisté lors de sa première messe pontificale sur la priorité qu’il entend donner à son pontificat : le dialogue avec les autres confessions chrétiennes. Benoît XVI dit vouloir « travailler sans compter ses forces » à « leur unité pleine et visible », qu’il considère comme un « devoir ». Un pape de dialogue ?En étant à la tête de près d’un milliard de croyants, Josef Ratzinger va peut-être mettre de l’eau dans son vin, et accepter de voir les choses autrement. « Sinon, avertit le responsable du CETIM (Centre de recherches et de publications sur les relations entre l’Europe et le Tiers Monde) Florian Rochat, ses positions ultraconservatrices risquent de faire l’affaire des mouvements pentecôtistes, notamment en Amérique Latine ».

Celui qui fut surnommé le « rottweiler de Dieu » va-t-il vraiment faire tout ce qui est en son pouvoir pour « promouvoir la cause fondamentale de l’oecuménisme » ? « Nous sommes dans l’expectative, reconnaît le pasteur Simon Weber, porte-parole à Berne de la FEPS. Cette dernière a d’ailleurs décidé de ne pas réagir à cette élection. « Je ne dirai pas avec d’autres que c’est une catastrophe pour nous. D’abord parce que Ratzinger peut nous surprendre. Mais plus fondamentalement, parce qu’il devient le pape des catholiques, pas le nôtre ».

En revanche, souligne Simon Weber, si « nous demandons que le pape nous reconnaisse et nous accepte comme Eglise, c’est parce qu’il en va de notre responsabilité non seulement en vue de l’unité de l’Eglise, qui constitue une interpellation du Christ lui-même, mais aussi envers nos fidèles et notamment les couples mixtes ». Pour la FEPS, il faut donc attendre pour voir. « On connaissait la ligne du cardinal. Nous ignorons celle du pape ». Simon Weber signale encore un élément qui lui semble porteur d’espoir : « Jean-Paul II venait d’un pays qui ignore tout du protestantisme. Ce n’est pas le cas de l’Allemagne ». Tous les chemins ne mènent pas à RomeResponsable du dialogue oecuménique dans le canton de Vaud, Martin Hoegger renchérit : « L’oecuménisme est affaire de reconnaissance de l’autre, mais aussi d’interpellation et de conversion. Peut-être y aura-t-il une troisième étape dans le cheminement théologique de Josef Ratzinger ». Pour ce pasteur vaudois, la commission « Foi et Constitution » du Conseil oecuménique des Eglises (COE) à laquelle participe l’Eglise catholique romaine, constitue l’une des chances « de parvenir à surmonter les obstacles doctrinaux ».

De manière générale, beaucoup rappellent que ce qui se décide à Rome ne se vit pas forcément partout. « Une grande partie des catholiques suisses n’ont pas tenu compte des coups de semonce de la Curie », estime à Genève Alain Stéhlé, président de la commission protestante pour l’oecuménisme de l'EPG. Dans la Cité de Calvin comme ailleurs en Suisse, « il existe une vraie solidarité des Eglises locales. Même s’il s’agit pour eux d’une souffrance, nombre de catholiques désobéissent au Saint-Siège ». Alain Stéhlé se montre donc « confiant dans la maturité des autorités catholiques genevoises, engagées depuis longtemps dans le dialogue ». Et ce laïc engagé de raconter que l’autorité catholique avait écrit une lettre d’excuses à ses partenaires lors de la parution de la déclaration « Dominus Iesus ». « N’en déplaise à la hiérarchie romaine, l’Eglise se vit au niveau du sol, dans chaque ville, dans chaque région. Pas au sommet d’un trône ! ».