Les Églises traditionnelles peinent à répondre à la spiritualité latente des gens
Les Églises traditionnelles peinent à répondre à cette spiritualité latente et ne délivrent plus un message clair auquel s’identifier aisément. Tel est le constat de l'Observatoire des Religions situé à Lausanne. Explications avec Jörg Stolz, le directeur de l'Observatoire.
On assiste à une désaffection croissante des grandes églises en Europe.
J.S: C'est juste mais la désaffection des églises ne signifie pas un désintérêt pour le «religieux». Lors de nos enquêtes, presque 80% des personnes interrogées déclarent régulièrement croire en une «puissance supérieure», ce qui prouve que la spiritualité est bien là. Le chiffre indique par contre coup que les églises historiques ne savent plus servir cette spiritualité latente puisque d'après les derniers sondages seulement 43% des Réformés, pour prendre cet exemple, se sentent membres de leur paroisse.
Comment expliquez-vous cela?
J.S: Les églises historiques ont perdu beaucoup de leurs fonctions traditionnelles. Elles n'ont plus grand-chose à dire en matière d'éducation, de santé, de politique sociale depuis que les médecins se sont emparés des maladies, les scientifiques des origines du monde et l'Etat de toute l'armature sociale. En revanche, il y a des domaines qui échappent aux compétences de la médecine, de la science et de la politique. L'incertitude concernant l'avenir, la mort, les drames familiaux ou sociaux et les questions d’identité personnelle aiguisent les besoins religieux. Et malgré l'excellence du niveau de vie, il y aura toujours une part de drame, d'échec personnel, des moments de crises qui constituent un marché potentiel pour le religieux. Rassurer, donner de l'espoir et des explications consolatrices en période de crise, les religions ont encore de beaux jours devant elles!
La religion est-elle tributaire du niveau de vie économique? Ou faut-il être pauvre, malheureux, abîmé par la vie pour croire en Dieu?
J.S: En Afrique et en Amérique du Sud, les églises ne désemplissent pas et cela peut accréditer cette thèse. Dans des pays qui ignorent tout de l'AVS, la religion a une importance majeure. Mais il n'en va pas de même aux Etats-Unis où la religion est très forte malgré un niveau économique élevé. De mon point de vue, ceci peut s’expliquer par la concurrence religieuse – un marché très ouvert aux Etats-Unis - et par le sentiment d'appartenance à une communauté facilement identifiable. Aux Etats-Unis, le champ religieux est multiple, bien adapté aux besoins de la population, le choix est vaste, chacun peut donc y trouver son compte. Autre motif de succès, les congrégations religieuses sont très réactives par rapport aux besoins de la population et les responsables sont moins des «fonctionnaires de Dieu» que des leaders charismatiques.
Quelles sont les conditions de réussite pour une Eglise?
J.S: Pour l'instant, les Eglises évangéliques demeurent très dynamiques tandis que les grandes Eglises multitudinistes s’essoufflent. Plus le message est clair et tranché, mieux les gens se situent et développent un sentiment d'appartenance. L'aide mutuelle,la reconnaissance, le statut dans la communauté sont aussi des facteurs importants qui expliquent l’attractivité de ces groupes «stricts». Plus un mouvement religieux se distingue par rapport à la société, plus il se définit clairement, plus il a de chances de faire de ses adeptes, des fidèles.
Les positions du Pape parfois tranchées servent donc mieux la cause de l'Église que les positions plus nuancées des réformés?
J.S: D'un point de vue sociologique, c'est certain. Je dirais même, c'est un bon calcul. Un certain nombre de personnes peuvent s'identifier facilement à son discours et cela évite la dispersion.
Il est pourtant très critiqué pour cela dans le monde catholique même.
J.S: Sans doute, mais l'important est de se démarquer par rapport aux discours ambiants. En cela, il réussit parfaitement. D'ailleurs, sa cote de popularité demeure très forte, ce qui prouve le respect qui lui est témoigné.
Si je vous suis bien, plus le groupe est sectaire, carré, plus il a de chances de réussite!
J.S: Pas forcément. L'important, c'est que «le produit» soit clair, facilement identifiable. Ni les intégristes ni les fondamentalistes religieux n'ont l'apanage de la clarté de position.
Est-il possible à une église d'être à la fois ouverte sur le monde, accueillante sans y regarder de trop près, intelligente dans ses prises de position et néanmoins attractive et dynamique?
J.S: Il y a quelques éléments clé dont il me paraît indispensable de tenir compte si l'on veut atteindre cet objectif. Le contenu du discours doit être clairement identifiable. Qu'il soit tenu de préférence par une personnalité charismatique qui fasse «référence» ou «autorité». Et puis, si l'on prend exemple sur les Etats-Unis, qui ont beaucoup à nous apprendre en ce domaine, on s'aperçoit que les Eglises ou dénominations religieuses sont complètement séparées de l'Etat. En conséquence, les gens savent qu'ils font partie, d'une manière privilégiée, d'une communauté religieuse très bien identifiée. Il n'y a pas d'ambiguïté à ce sujet. Lorsque l’on est membre d’un tel groupement religieux, on en connaît clairement les coûts et les bénéfices. De la part des membres, ce processus d'appropriation et de responsabilité me paraît essentiel. Pour prendre un contre-exemple qui nous est familier, nous pouvons citer la Suisse où l'Etat est chargé de collecter l'impôt ecclésiastique. Cette «aide» de l'Etat aux Eglises, pour pratique qu'elle soit, brouille le symbole d'une Eglise vraiment indépendante et nuit à son identité.
Êtes-vous optimiste sur l'avenir de la religion en Suisse?
J.S: Il n’y a pas de raisons d’être pessimiste. Même si les églises dites historiques semblent se trouver actuellement dans une crise, les problèmes spirituels de l’individu moderne demeurent. De ce fait, de nouvelles formes religieuses émergeront – soit dans le cadre des églises historiques, soit à l’extérieur de ces dernières - pour satisfaire ces besoins.