Le protestantisme évangélique, un christianisme de conversion

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Le protestantisme évangélique, un christianisme de conversion

27 mars 2002
Composantes importante du paysage religieux en Suisse comme dans le monde entier, tout particulièrement en Amérique centrale et latine, les Eglises dites « évangéliques » - environ 200 millions de convertis - et les assemblées pentecôtistes restent souvent méconnues du grand public
Un colloque international a réuni à Paris des sociologues et des historiens qui ont fait le point sur la montée du christianisme de conversion. Explications. Entre rupture et filiation: tel est le thème du colloque de Paris qui a permis à des chercheurs européens et américains de faire le point sur la réflexion socio-historique menée actuellement sur le christianisme de conversion.

Selon Danièle Hervieu-Léger, professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (France), le converti évangélique est une figure majeure de la modernité religieuse. Elle a rappelé que la conversion est une expérience qui se développe tout particulièrement en temps de crise. La montée de la peur de l’autre, la radicalisation des inégalités sociales, de plus en plus visibles, les formidables développements scientifiques et techniques, l’émergence de valeurs culturelles nouvelles qui déstabilisent le monde connu, sont des facteurs qui déclenchent la conversion. En découlent souvent une remise en question et une redéfinition des rapports entre l’expérience religieuse et l’univers scientifique et rationnel.

A chaque crise correspondent des turbulences religieuses caractérisées par une forte conscience apocalyptique, l’intensité de la vie communautaire, la recherche d’une vie nouvelle à travers un changement spirituel, la montée en force de l’émotion.

Le « conversionnisme » protestant autant que catholique met en évidence, dans ces moments-clés de l’histoire humaine, la puissance de Dieu au cœur même de l’individu, alors que la rationalité moderne remet en question l’intervention directe de Dieu. Ce travail de rapprochement du divin, cette émergence d’un Dieu de l’intime et du cœur entretiennent, aux yeux de Danièle Hervieu-Léger, l’utopie de l’épanouissement personnel et de la guérison des corps.

§Le retournement de la conversionRappelons que la conversion, essentielle pour les évangéliques, est une rupture qui induit un changement radical de vie. Ce retournement entraîne une restructuration de soi et la formation d’une identité nouvelle qui donne le sentiment d’être maître de son destin. La conversion, initiée par Dieu, est symbolisée pour beaucoup de protestants évangéliques (notamment tous les baptistes et les pentecôtistes) par le baptême par immersion, véritable rite de passage et de renaissance. Il marque l’entrée dans une nouvelle connaissance du divin. La filiation, pour les communautés évangéliques, ne passe plus par la confession héritée de ses parents. On ne naît plus protestant mais on le devient en s’inscrivant dans un milieu croyant, en adhérant à un groupe religieux.

Les communautés, précise Sébastien Fath, organisateur du colloque et chercheur à l’Ecole pratique des Hautes Etudes à la Sorbonne, ont un puissant rôle d’intégration sociale et de validation du croire. Elles proposent en général des normes fortes, des certitudes qui aident à vivre dans une société psychiquement épuisante et mettent l’accent sur la consolation.

§Intégration sociale Les communautés à base ethnique, s’adressant à des petits groupes d’immigrants, sont un moyen de préserver une cohésion culturelle.

Se convertir, constate Jean-Claude Girondin, doctorant à l’Ecole pratique des Hautes Etudes, c’est pour les Antillais de la région parisienne, se mettre au bénéfice de la protection de Dieu, c’est échapper à la crainte de la sorcellerie, sortir de la malédiction à laquelle l’homme noir était condamné, rejeter la religion des anciens maîtres colonialistes, c’est se construire une dignité et une bonne réputation. Pour la communauté antillaise immigrée, la conversion fait partie d’une stratégie identitaire d’ascension sociale et d’intégration dans la société française.

§Ascension sociale et modernité Il en va de même au Brésil où la conversion est le choix d’une nouvelle religion pour sortir de celle des oppresseurs, témoigne Paulo Barrera, professeur à l’Université méthodiste de Sao Paolo. On y a appelé les protestants brésiliens les " casse-saints" ou les "bibles". De façon générale en Amérique latine, la conversion est également une stratégie pour entrer dans la modernité. Elle a particulièrement séduit les couches pauvres de la population, mais aussi la classe moyenne très malmenée par la crise économique. Faire partie d’une Assemblée évangélique, c’est s’assurer la réussite, des appuis, une entraide de la communauté, c’est être drillé. Pour les femmes, la moralisation de la vie quotidienne les aide à sortir du machisme qui les asservit. Il n'est pas rare de voir l'exclusion de fidèles pour des motifs comme l'alcoolisme, l'adultère ou des actes de violence.

§Paradoxes Pour Nancy T. Ammerman, professeur de sociologie de la religion à l’Institut de Hartford dans le Connecticut, les congrégations qu’elle a observées de près aux Etats-Unis, sont à la fois un repli contre-culturel et un tremplin vers la modernité. Elles vivent dans un monde parallèle avec leurs propres écoles ou leur propre enseignement à la maison, tout en jouissant des bienfaits de la modernité et utilisant largement la télévision et la radio pour remplir leur engagement missionnaire. Elles comptent changer le monde de l’intérieur mais n’hésitent pas à se lancer dans l’activisme politique et le lobbying au Congrès américain. Elles s’engagent dans tous les débats de société et y défendent souvent un point de vue très conservateur, notamment sur l’avortement. Les communautés évangéliques américaines cultivent le paradoxe en étant très modernes dans leur pragmatisme mais très critiques face à la rationalité. Depuis la fin de la guerre froide et la chute du Mur, elles ont développé leurs activités missionnaires dans de nouveaux territoires et y consacrent des sommes faramineuses.

§Dérives sectairesEn observant de l’intérieur une congrégation de pentecôtistes à Besançon qui réunit plus de cinq cents fidèles lors du culte dominical, le doctorant Laurent Amiotte-Suchet a permis de mieux pu comprendre les mécanismes internes des communautés évangéliques, qui peuvent déboucher sur une dérive sectaire, ce qui est le cas de la communauté bisontine. Une théologie simple, l’apprentissage fondamental de la confiance en soi, l’obligation missionnaire de proclamer sa foi, tout contribue à éviter au « frère » l’angoisse de l’incertitude. Le fidèle n’a qu’à obéir et ne pas cesser de témoigner sa foi. La communauté se charge de l’encadrer, de lui témoigner chaleur et repères, de le tancer au besoin.

La stature charismatique du pasteur peut être la clé d’éventuelles dérives sectaires. Médiateur obligé entre Dieu et les fidèles, il peut être tenté de glisser vers la figure du pasteur prophète, du guérisseur charismatique omnipotent et radicaliser sa communauté et lui donner une orientation fondamentaliste.