Sensibiliser les ados qui se défoncent à l’alcool
20 mars 2002
Le lancement par la Croix-Bleue d’une campagne ciblée baptisée « Raid Blue » le rappelle : les jeunes suisses sont de plus en plus nombreux à se soûler régulièrement
Mélangeant les substances, utilisant les effets psychotropes de l’alcool de la même manière que ceux des drogues, ces adolescents visent la défonce violente et immédiate. Une jeunesse ivre que peinent à atteindre les messages de prévention. La cuite du samedi soir devient très tendance chez les jeunes. De quoi s’arracher les cheveux pour les spécialistes de la prévention. Autant dire que ‘Raid Blue’, la nouvelle campagne de la Croix Bleue (lire encadré) arrive à point nommé. « Le niveau d’alcoolisation d’une partie non négligeable des adolescents nous renvoie 25 ans en arrière, à l’époque où la vente de spiritueux dans les bals se terminait régulièrement par des bagarres et une beuverie générale », s’inquiète Michel Graf, directeur adjoint de l’Institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies (ISPA).
Finie l’image ringarde de la bouteille de gros rouge, charentaises et télévision. Désormais, plus de clivage entre fumette et biture. Les jeunes voient l’alcool sous l’angle de ses vertus psychotropes et le vocabulaire se calque sur celui appliqué aux drogues. On se réunit pour se « péter la tête » et « rester scotché » en plein trip, loin de tout plaisir gustatif. « Dans les enquêtes, ce qui frappe, c’est cette volonté de consommer pour s’enivrer. Au point que pour certains, l’alcool n’est plus un compagnon de fête mais bien l’objectif même de la soirée», insiste Michel Graf.
§Dramatique baisse des prixJuillet 1999. Suite à des accords passés avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Suisse connaît la baisse de prix la plus spectaculaire jamais enregistrée par un pays occidental en matière de spiritueux: -35% sur le gin ou la vodka, -40% sur les cognacs et jusqu’à –50% sur certains whiskys américains. Les rayons spécialisés des grandes surfaces prennent soudain des allures de magasins hors taxe avec des alcools forts moins chers que dans la plupart des pays voisins. Les professionnels se frottent les mains. Les organismes de prévention, beaucoup moins. Trois mois plus tard, on enregistre une augmentation de 20% de la consommation. Les mesures les plus récentes, datant d’avril 2000, indiquent une stabilisation à +12%.
Ces chiffres sont qualifiés de préoccupants, d’autant que plusieurs enquêtes comme celle de l’émission de la TSR « A bon Entendeur » confirment que la loi sur l’interdiction de vente des alcools forts aux moins de 18 ans n’est que peu respectée. Pour les boissons dites fermentées (vin, bière, cidre, etc.), les textes légaux demeurent du ressort cantonal avec, dans certains cas, une limite fixée à 16 ans. Et parfois…rien du tout.
Autres évolutions statistiques peu réjouissantes : on boit de plus en plus tôt, à la recherche de l’ivresse immédiate. Autour de 15 ans, voire 12 ans pour les précoces. Les industriels l’ont bien compris, et mise désormais sur le marché de la jeunesse ivre. Il y a eu ses « alcopops » à l’instar des mini bouteilles de ce champagne pourtant très vieille France à boire au goulot voire, plus efficace encore, à la paille. A côté de l’éternelle bière, la mode est désormais aux limonades alcoolisées. Lancée en 1999 au Royaume-Uni par la marque de vodka du même nom, la « Smirnoff Ice » fait un malheur auprès des ados, bientôt suivie par son concurrent suédois Absolut. Les récentes fausses pudeurs du fabricant (avec un autocollant qui déconseille enfin la vente aux mineurs) n’y change rien : désormais, « les adolescents possèdent leurs boissons alcoolisées branchées avec un prix, un look, et un goût spécialement étudiés pour eux, et notamment pour les filles. Impossible dès lors d’invoquer des repères culturels, un apprentissage du bien boire comme avec les grands vins », note Michel Graf.
Un pack de six bières ou de trois limonades alcoolisées suffiront au jeune à se retrouver défoncé, surtout s’il le mélange avec d’autres produits psychotropes. « Chez les adolescents comme chez les adultes, l’alcool rejoint désormais le paysage des toxicomanies, explique Jacques Besson, de la division abus des substances de la faculté de médecine lausannoise. La nouveauté, c’est aussi cette population mineure qui abuse de tous les produits en n’hésitant pas à mélanger alcool, cannabis, ou drogues de synthèse. »
§La modération, concept ringardComme pour le tabac, mais pas pour les mêmes raisons, les campagnes de prévention paraissent peu toucher les ados. Comment prôner la modération alors que le discours dominant ne parle que de performances, de se « donner à fond », de « zapper quand on s’ennuie » ? Et puis, pour ne rien arranger, il y a l’acceptation sociale de l’alcool et l’expérience universelle qu’il représente dans notre culture. Les parents se sont soûlés les premiers. Du coup, ils hésitent à s’inquiéter des écarts éthyliques de leur progéniture. « Ils banalisent, accueillent la cuite de la veille le sourire en coin quand ils ne s’en montrent pas fiers. Bref, ils minimisent comme le font les conjoints ou les alcooliques eux-mêmes », souligne au Mont-sur-Lausanne Thierry Juvet, directeur de la fondation des Oliviers, spécialisée dans le traitement des dépendances. Michel Graf : « Les parents répondent que s’ils interdisent, il y aura danger de transgression. Et alors ? Pourquoi certains principes éducatifs ne marcheraient-ils plus dès lors qu’il s’agit de consommation de produits ? L’important est de savoir quelle réponse apporter à la transgression. Une réponse que le jeune attend. »
L’ISPA vient d’ouvrir sur la toile un site à l’attention des organisateurs de soirées et des patrons d’établissements de nuit. Avec le partenariat des cantons chargés de diffuser le message localement, «prevenfete.ch» rappelle quelques mesures comme la proposition d’une ou deux boissons sans alcool moins chères, la mise à disposition d’eau fraîche ou encore une bonne ventilation de la salle. Mais les organismes de prévention le savent : la prévention de proximité demeure le moyen le plus efficace. Problème financier, et donc de volonté politique.
Finie l’image ringarde de la bouteille de gros rouge, charentaises et télévision. Désormais, plus de clivage entre fumette et biture. Les jeunes voient l’alcool sous l’angle de ses vertus psychotropes et le vocabulaire se calque sur celui appliqué aux drogues. On se réunit pour se « péter la tête » et « rester scotché » en plein trip, loin de tout plaisir gustatif. « Dans les enquêtes, ce qui frappe, c’est cette volonté de consommer pour s’enivrer. Au point que pour certains, l’alcool n’est plus un compagnon de fête mais bien l’objectif même de la soirée», insiste Michel Graf.
§Dramatique baisse des prixJuillet 1999. Suite à des accords passés avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Suisse connaît la baisse de prix la plus spectaculaire jamais enregistrée par un pays occidental en matière de spiritueux: -35% sur le gin ou la vodka, -40% sur les cognacs et jusqu’à –50% sur certains whiskys américains. Les rayons spécialisés des grandes surfaces prennent soudain des allures de magasins hors taxe avec des alcools forts moins chers que dans la plupart des pays voisins. Les professionnels se frottent les mains. Les organismes de prévention, beaucoup moins. Trois mois plus tard, on enregistre une augmentation de 20% de la consommation. Les mesures les plus récentes, datant d’avril 2000, indiquent une stabilisation à +12%.
Ces chiffres sont qualifiés de préoccupants, d’autant que plusieurs enquêtes comme celle de l’émission de la TSR « A bon Entendeur » confirment que la loi sur l’interdiction de vente des alcools forts aux moins de 18 ans n’est que peu respectée. Pour les boissons dites fermentées (vin, bière, cidre, etc.), les textes légaux demeurent du ressort cantonal avec, dans certains cas, une limite fixée à 16 ans. Et parfois…rien du tout.
Autres évolutions statistiques peu réjouissantes : on boit de plus en plus tôt, à la recherche de l’ivresse immédiate. Autour de 15 ans, voire 12 ans pour les précoces. Les industriels l’ont bien compris, et mise désormais sur le marché de la jeunesse ivre. Il y a eu ses « alcopops » à l’instar des mini bouteilles de ce champagne pourtant très vieille France à boire au goulot voire, plus efficace encore, à la paille. A côté de l’éternelle bière, la mode est désormais aux limonades alcoolisées. Lancée en 1999 au Royaume-Uni par la marque de vodka du même nom, la « Smirnoff Ice » fait un malheur auprès des ados, bientôt suivie par son concurrent suédois Absolut. Les récentes fausses pudeurs du fabricant (avec un autocollant qui déconseille enfin la vente aux mineurs) n’y change rien : désormais, « les adolescents possèdent leurs boissons alcoolisées branchées avec un prix, un look, et un goût spécialement étudiés pour eux, et notamment pour les filles. Impossible dès lors d’invoquer des repères culturels, un apprentissage du bien boire comme avec les grands vins », note Michel Graf.
Un pack de six bières ou de trois limonades alcoolisées suffiront au jeune à se retrouver défoncé, surtout s’il le mélange avec d’autres produits psychotropes. « Chez les adolescents comme chez les adultes, l’alcool rejoint désormais le paysage des toxicomanies, explique Jacques Besson, de la division abus des substances de la faculté de médecine lausannoise. La nouveauté, c’est aussi cette population mineure qui abuse de tous les produits en n’hésitant pas à mélanger alcool, cannabis, ou drogues de synthèse. »
§La modération, concept ringardComme pour le tabac, mais pas pour les mêmes raisons, les campagnes de prévention paraissent peu toucher les ados. Comment prôner la modération alors que le discours dominant ne parle que de performances, de se « donner à fond », de « zapper quand on s’ennuie » ? Et puis, pour ne rien arranger, il y a l’acceptation sociale de l’alcool et l’expérience universelle qu’il représente dans notre culture. Les parents se sont soûlés les premiers. Du coup, ils hésitent à s’inquiéter des écarts éthyliques de leur progéniture. « Ils banalisent, accueillent la cuite de la veille le sourire en coin quand ils ne s’en montrent pas fiers. Bref, ils minimisent comme le font les conjoints ou les alcooliques eux-mêmes », souligne au Mont-sur-Lausanne Thierry Juvet, directeur de la fondation des Oliviers, spécialisée dans le traitement des dépendances. Michel Graf : « Les parents répondent que s’ils interdisent, il y aura danger de transgression. Et alors ? Pourquoi certains principes éducatifs ne marcheraient-ils plus dès lors qu’il s’agit de consommation de produits ? L’important est de savoir quelle réponse apporter à la transgression. Une réponse que le jeune attend. »
L’ISPA vient d’ouvrir sur la toile un site à l’attention des organisateurs de soirées et des patrons d’établissements de nuit. Avec le partenariat des cantons chargés de diffuser le message localement, «prevenfete.ch» rappelle quelques mesures comme la proposition d’une ou deux boissons sans alcool moins chères, la mise à disposition d’eau fraîche ou encore une bonne ventilation de la salle. Mais les organismes de prévention le savent : la prévention de proximité demeure le moyen le plus efficace. Problème financier, et donc de volonté politique.