Jeunes: à peine la majorité et déjà la dêche
7 mars 2002
Ils ont à peine plus de 18 ans et sont de plus en plus nombreux à se retrouver sans argent, sans logement, sans formation ou dans l'impossibilité de la poursuivre
Alors qu'une étude vaudoise s'inquiète de l'augmentation du nombre de ces "jeunes adultes en difficulté", à Lausanne l'Action éducative en milieu ouvert (ASEMO) tente d'offrir soutien, aide financière et logement. Rencontres. Laura* a 21 ans. L'âge des sorties en boîte, de la fête, de l'insouciance. Pour la jeune femme d'origine portugaise, la réalité est moins souriante. "Avec mes parents, ça n'a jamais trop joué. Lorsque je suis rentrée d'un enième aller-retour au Portugal, ils avaient pris un studio. Je n'y avais plus vraiment ma place", sourit-elle tristement.
Laura atterrit chez une tante alcoolique, qui la met à la porte au milieu de la nuit. Elle termine sa scolarité obligatoire, commence un apprentissage de décoration d'intérieure, "à 250 francs suisses par mois." Et puis la galère, les logements précaires chez les copains, l'interruption d’une première formation, puis d'une seconde.
Selon un récent rapport issu d'un collectif de travailleurs sociaux (lire encadré), les jeunes adultes vaudois seraient de plus en plus nombreux à connaître la précarité et les difficultés financières. Les différentes structures du système social se renvoient la balle. "Les centres sociaux régionaux n'interviennent pas, parce que c'est aux parents d'assumer la formation de leurs enfants. Sans doute un effet désastreux de la majorité à 18 ans, votée en 1996: un certain nombres de parents croient que leur obligation d'entretien s'arrête à ce moment-là. Et pour celui auquel la famille coupe les vivres et qui n'a pas de bourse, l'accès à l'aide sociale est semée d'embûches", explique Andréa Zobel.
§Service à la carteDepuis 1996, à Lausanne, elle assure avec trois collègues une prise en charge socio-éducative gratuite au sein de l'Action éducative en milieu ouvert (ASEMO), qui fait partie de l'association du Relais. Semaine après semaine, elle écoute ces jeunes pour qui le passage à l'âge adulte se fait dans la douleur. Différents services officiels, dont le Centre social protestant, leur envoient des usagers qui se perdent dans les dédales administratifs. "Nous accueillons des personnes ayant atteint la majorité et qui ne se trouvent pas en institution. Notre service est à la carte, selon les besoins, avec la volonté que les gens retrouvent rapidement leur autonomie: recherche de logement, d'un apprentissage; aide administrative, et pourquoi pas des cours de cuisine!" On s’en doute, la petite équipe n’arrive pas à répondre à toutes les demandes et tente de parer au plus pressé.
"Je trouve très réconfortant de venir à la permanence hebdomadaire de l'ASEMO, chuchote Nadine*, gymnasienne de 20 ans. Quand j'ai dû rendre les clés de la maison, j'avais le sentiment de n'être plus rien. On nous dit de porter plainte. Mais cela m'enfoncerait encore davantage. Il me reste toujours l'espoir qu'un jour je m'entendrai mieux avec ma mère." Selon les chiffres, d'ailleurs, très peu d'enfants entreprennent pareille démarche judiciaire à l'encontre de leurs géniteurs.
A 19 ans, Fabienne* s'est retrouvée dans la rue en décembre dernier, quelques mois après un difficile divorce de ses parents. La recherche d'un toit, les démarches pour obtenir une aide financière ont gravement mis en péril la poursuite de ses études. "Les services sociaux n'ont même pas voulu me recevoir." L'ASEMO lui a trouvé une chambre dans un foyer; et a demandé une aide financière exceptionnelle comme pour ses deux camarades d'infortune. "C'est le cercle vicieux, note Andréa Zobel qui suit la jeune femme depuis plusieurs mois. Nous avons obtenu un soutien de 1'100 francs par mois. Sous réserve d'une demande de révision de sa petite bourse. Malheureusement, l'Office des bourses subordonne son intervention au maintien chez les parents. Et ils viennent donc de nous répondre encore une fois que les situations de ruptures familiales ne les concernent pas."
§Parcours ubuesquesDifficultés pécuniaires, errance entre domiciles précaires, solitude qui aboutit parfois à des problèmes psychologiques. A force de voir les portes se fermer devant elle, Laura a aboutit au centre thérapeutique d'urgence de l'hôpital cantonal. "On te dissuade, on te demande de t’adresser ailleurs, de te débrouiller par toi-même. A chaque fois, t'as l'impression de reculer, t'as plus d'énergie pour apprendre. Et tu te dis que si ça démarre mal, t'es foutu." Un discours et des situations incroyables, dénonce Andréa Zobel: "Il n'existe par exemple aucun moyen d'obtenir de l'argent dans l'urgence pour que ces gens ne mettent pas en danger leur avenir." Voilà d'ailleurs la conclusion du rapport qui vient d'être remis aux autorités politiques: alors que les problèmes rencontrés par ces jeunes adultes sont transversaux, que leurs ennuis se cumulent, l'absence d'articulation entre les différents régimes rend l'accès à l'aide sociale ubuesque, donnant parfois l'impression qu'aucune solution n'existe. Le début d'un inquiétant démantèlement social.
*prénoms d’emprunt
Laura atterrit chez une tante alcoolique, qui la met à la porte au milieu de la nuit. Elle termine sa scolarité obligatoire, commence un apprentissage de décoration d'intérieure, "à 250 francs suisses par mois." Et puis la galère, les logements précaires chez les copains, l'interruption d’une première formation, puis d'une seconde.
Selon un récent rapport issu d'un collectif de travailleurs sociaux (lire encadré), les jeunes adultes vaudois seraient de plus en plus nombreux à connaître la précarité et les difficultés financières. Les différentes structures du système social se renvoient la balle. "Les centres sociaux régionaux n'interviennent pas, parce que c'est aux parents d'assumer la formation de leurs enfants. Sans doute un effet désastreux de la majorité à 18 ans, votée en 1996: un certain nombres de parents croient que leur obligation d'entretien s'arrête à ce moment-là. Et pour celui auquel la famille coupe les vivres et qui n'a pas de bourse, l'accès à l'aide sociale est semée d'embûches", explique Andréa Zobel.
§Service à la carteDepuis 1996, à Lausanne, elle assure avec trois collègues une prise en charge socio-éducative gratuite au sein de l'Action éducative en milieu ouvert (ASEMO), qui fait partie de l'association du Relais. Semaine après semaine, elle écoute ces jeunes pour qui le passage à l'âge adulte se fait dans la douleur. Différents services officiels, dont le Centre social protestant, leur envoient des usagers qui se perdent dans les dédales administratifs. "Nous accueillons des personnes ayant atteint la majorité et qui ne se trouvent pas en institution. Notre service est à la carte, selon les besoins, avec la volonté que les gens retrouvent rapidement leur autonomie: recherche de logement, d'un apprentissage; aide administrative, et pourquoi pas des cours de cuisine!" On s’en doute, la petite équipe n’arrive pas à répondre à toutes les demandes et tente de parer au plus pressé.
"Je trouve très réconfortant de venir à la permanence hebdomadaire de l'ASEMO, chuchote Nadine*, gymnasienne de 20 ans. Quand j'ai dû rendre les clés de la maison, j'avais le sentiment de n'être plus rien. On nous dit de porter plainte. Mais cela m'enfoncerait encore davantage. Il me reste toujours l'espoir qu'un jour je m'entendrai mieux avec ma mère." Selon les chiffres, d'ailleurs, très peu d'enfants entreprennent pareille démarche judiciaire à l'encontre de leurs géniteurs.
A 19 ans, Fabienne* s'est retrouvée dans la rue en décembre dernier, quelques mois après un difficile divorce de ses parents. La recherche d'un toit, les démarches pour obtenir une aide financière ont gravement mis en péril la poursuite de ses études. "Les services sociaux n'ont même pas voulu me recevoir." L'ASEMO lui a trouvé une chambre dans un foyer; et a demandé une aide financière exceptionnelle comme pour ses deux camarades d'infortune. "C'est le cercle vicieux, note Andréa Zobel qui suit la jeune femme depuis plusieurs mois. Nous avons obtenu un soutien de 1'100 francs par mois. Sous réserve d'une demande de révision de sa petite bourse. Malheureusement, l'Office des bourses subordonne son intervention au maintien chez les parents. Et ils viennent donc de nous répondre encore une fois que les situations de ruptures familiales ne les concernent pas."
§Parcours ubuesquesDifficultés pécuniaires, errance entre domiciles précaires, solitude qui aboutit parfois à des problèmes psychologiques. A force de voir les portes se fermer devant elle, Laura a aboutit au centre thérapeutique d'urgence de l'hôpital cantonal. "On te dissuade, on te demande de t’adresser ailleurs, de te débrouiller par toi-même. A chaque fois, t'as l'impression de reculer, t'as plus d'énergie pour apprendre. Et tu te dis que si ça démarre mal, t'es foutu." Un discours et des situations incroyables, dénonce Andréa Zobel: "Il n'existe par exemple aucun moyen d'obtenir de l'argent dans l'urgence pour que ces gens ne mettent pas en danger leur avenir." Voilà d'ailleurs la conclusion du rapport qui vient d'être remis aux autorités politiques: alors que les problèmes rencontrés par ces jeunes adultes sont transversaux, que leurs ennuis se cumulent, l'absence d'articulation entre les différents régimes rend l'accès à l'aide sociale ubuesque, donnant parfois l'impression qu'aucune solution n'existe. Le début d'un inquiétant démantèlement social.
*prénoms d’emprunt