Abattage rituel : le Conseil fédéral tombe sur un os

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Abattage rituel : le Conseil fédéral tombe sur un os

10 janvier 2002
Berne propose d’assouplir la loi sur la protection des animaux pour permettre la production de viande halal et casher
Pour l’autorité fédérale, l’actuelle interdiction de l’égorgement des animaux de boucherie constitue une ultime discrimination religieuse envers les minorités musulmane et juive. Pour les associations de défense des animaux et certains observateurs, au contraire, cette mesure occasionnerait d’inutiles souffrance aux bêtes tout en ouvrant la porte à d’autres revendications religieuses. Débat. Berne veut à nouveau permettre l’abattage rituel. Retour à une pratique barbare ou abrogation d’une ultime restriction à la liberté de croyance ? Encore en consultation, le projet de modification de la loi sur la protection des animaux qui permettrait de lever une interdiction datant de la fin du XIXe siècle enflamme les esprits.

Certains milieux de défense des animaux montent au créneau et brandissent la menace d’un référendum en cas d’acceptation du nouveau texte. La récolte des signatures aurait d’ores et déjà commencé. Dans le même camp se retrouvent certains paysans, vétérinaires, voire même autorités cantonales. « Un grand retour en arrière du point de vue de la protection des animaux », s’exclame ainsi Jacqueline Maurer, conseillère d’Etat vaudoise en charge du dossier. Pour la Société suisse de protection des animaux (SPA), il ne s’agirait rien moins que l’inacceptable approbation d’une « méthode vétuste, impitoyable, désapprouvée par une grande partie du peuple suisse. »

L’Office vétérinaire fédéral note que selon la doctrine juridique internationale, une interdiction absolue de l’abattage rituel paraît incompatible avec la liberté de conscience et de croyance garantie par la Constitution fédérale. « Selon cette thèse, cela constitue une acte discriminatoire pour les minorités concernées. » De plus, pour l’administration fédérale, une telle restriction devrait être justifiée par un intérêt public proportionnel. Autrement dit, il faudrait que la douleur supplémentaire causée à l’animal soit scientifiquement identifiée et démontrée. Ce qui n’est pas le cas, puisque les experts se disputent sur le sujet. Alors que l’abattage rituel constitue une pratique importante pour les quelque 18'000 juifs et 250’000 musulmans de Suisse, qui ne relève pas d’un simple agrément. Dans les colonnes du quotidien Le Temps, le président de la Fédération des communautés israélites accuse pour sa part les adversaires de l’abattage rituel d’ignorance voire de désinformation, cette pratique s’avérant en fait bien plus respectueuse des animaux que son pendant industriel. Pour Alfred Donath, l’initiative de 1893 à l’origine de cette prohibition était d’ailleurs clairement teintée d’antisémitisme : Il s’agissait « d’inciter les juifs à quitter notre pays. »

§La dignité de l’animal ne commence pas à sa mortLa Conférence des évêques suisses, qui se déclare favorable à cette abrogation, ne dit pas autre chose. « La liberté religieuse constitue un droit fondamental de l’homme, alors que les nuisances de l’abattage rituel ne sont absolument pas démontrées », souligne son secrétaire général Marc Aellen. Egalement en accord avec le projet du Conseil fédéral,la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) ajoute que de toute manière, l’éventualité d’une souffrance avérée « ne justifie pas sur le plan théologique pareille interdiction. » La FEPS rappelle par ailleurs que le texte en consultation prévoit des garde-fous, avec l’obligation d’une pratique professionnelle dans des lieux agréés. Mais son principal argument en faveur de retrait de l’ancienne loi est ailleurs. D’abord, qui dit rituel dit pratique codifiée exécutée dans le respect de certaines règles. « Le fait de tuer liturgiquement fonde un respect de l’homme vis à vis de la créature, contrairement à l’abattage industriel. » Enfin, souligne l’institut d’éthique chargé de développer l’argumentaire réformé, respecter l’animal ne commence pas lors de sa mise à mort. L’amélioration des conditions de vie des animaux de boucherie, la réduction de consommation de viande (qui mènent à l’élevage intensif, aux transports dégradants) « paraissent plus importants à cet égard que l’interdiction d’une forme minoritaire d’abattage historique et religieux. »

Certains brandissent aussi le risque que l’autorisation de l’abattage rituel ouvre la porte à d’autres revendications religieuses de la part de certaines communautés. On pense par exemple au très médiatique port du voile. Du côté des catholiques comme des protestants, on se dit sereins. Reste que tout ce tapage risque de faire reculer le Conseil fédéral. Et Alfred Donath le reconnaît : en cas d’aboutissement, le référendum de la SPA a toutes ces chances devant le peuple.