Musulmans et chrétiens ont-ils le même Dieu?

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Musulmans et chrétiens ont-ils le même Dieu?

15 novembre 2001
Longtemps Antoine Moussali était convaincu que musulmans et chrétiens adoraient le même Dieu
L'approfondissement du dialogue isalmo-chrétien l'a conduit à revisiter cette affirmation. Pour que le dialogue théologique soit vrai, il faut reconnaître les différences, surtout quand elles sont fondamentales.Antoine Moussali est un père catholique qui vit au nord de Paris. A 80 ans, cet homme est un puits de science à propos de l'islam. Originaire du Liban, il est arabophone. De plus, il a dirigé pendant vingt ans des écoles catholiques à Damas en Syrie. Il s'est ensuite installé en Algérie où il a travaillé au dialogue islamo-chrétien, tout en dispensant des cours d'arabe à l'Université d'Alger. A la fin des années 80, la montée en puissance des islamistes en Algérie le contraint à venir s'installer en France.

A la question de savoir si musulmans et chrétiens "ont le même Dieu", Antoine Moussali offre au premier abord une réponse à la normande."Il ne s'agit pas de répondre par oui ou par non, mais de dire oui et non! Et la conjonction "et" est fondamentale."

§Le même DieuPour Antoine Moussali, musulmans et chrétiens se retrouvent dans l'affirmation du fait qu'il n'y a qu'un seul Dieu. "Ce qui nous unit, c'est le monothéisme. Et c'est là une dimension tout à fait considérable!" De plus chrétiens et musulmans donnent à Dieu des attributs qui renvoient à des réalités comparables. Ainsi les musulmans accordent nonante-neuf qualificatifs à la divinité. Dieu est le plus grand, l'Unique, l'Omniscient, le Glorieux, le Miséricordieux, le Souverain du monde, le Bienfaiteur. Autant de "Beaux Noms" que les chrétiens sont prêts à intégrer à leur conception de la divinité. "Nous disposons donc de thèmes communs, explique Antoine Moussali. Mais donner à Dieu des attributs, c'est une chose, et dire Dieu dans son essence une tout autre chose." En islam, Dieu est imperméable. La radicalité de sa transcendance est soulignée. Ainsi l'être humain ne peut en aucun cas pénétrer son mystère. Ce qui ne correspond pas aux affirmations centrales sur Dieu en christianisme.

§Pas le même Dieu"En arabe, je n'ose pas dire que Dieu est amour ("houbb") comme le déclare le Nouveau Testament. Une telle affirmation introduit en Dieu une dimension corporelle, sexuellement beaucoup trop connotée pour des oreilles musulmanes. Par respect pour la transcendance de Dieu, le musulman ne peut admettre le visage qu'en "dessine" un chrétien. Il récuse tout anthropomorphisme qui viendrait atténuer l'altérité radicale de la divinité. "Nous autres chrétiens, nous devons faire attention à l'impact de nos propos sur Dieu lorsque nous parlons avec des musulmans, relève Antoine Moussali. Néanmoins, nous devons aussi demander aux musulmans de se laisser interroger. Dieu est-il hiératique ou alors est-il un être de relations?"

Depuis le IVe siècle, la plupart des chrétiens dans le monde confessent que Dieu est Trinité. Le Coran, lui, ne reconnaît pas la Trinité. L'un des cinq piliers de l'islam, la confession de l'unicité de Dieu et de la mission prophétique de Mahomet, témoigne de ce refus catégorique: "Il n'y a de Dieu que Dieu." Le Coran développe cela de manière très explicite: "Et lorsque Dieu dit: "Ô Jésus, Fils de Marie! Est-ce toi qui as dit aux hommes: "Prenez-moi et ma mère pour deux dieux à côté de Dieu?" Jésus dit: "Gloire à toi! Comment aurais-je pu dire ce qui n'est pas pour moi la vérité?" (5,116). Ainsi, le Coran considère les chrétiens comme des polythéistes. De plus, il renferme une erreur dans la perception de la Trinité. Il fait de Marie une sorte de déesse à côté de Jésus et de Dieu, à la place du Saint-Esprit. "Le Coran se positionne par rapport à un christianisme soit mal compris, soit hétérodoxe, ajoute encore Antoine Moussali. Entre christianisme et islam, manifestement le visage de Dieu n'est pas le même!"

§Jésus, pomme de discordeCes différences ne font que croître dans la perception de Jésus. Dans le Coran, contrairement à ce que disent nos traductions françaises, Jésus ne s'appelle pas "Jésus". Il porte le nom de "Issâ", fils de Marie. "Pour un musulman, Jésus ne peut pas s'appeler "Yasû' " comme le disent en arabe les chrétiens d'Orient, explique Antoine Moussali. Ce serait blasphématoire! L'islam veut bien reconnaître en Issâ un grand homme, un grand prophète et même le verbe de Dieu, mais dire, comme le clame le nom Jésus lui-même, que l'homme de Nazareth sauve, c'est impossible!" D'où la reprise par le Coran d'un nom de dérision employé notamment par les juifs avant l'islam.

L'islam ne peut pas accepter non plus qu'un prophète de Dieu comme Jésus meure sur une croix. Le Coran déclare: "Ils (les juifs) ne l'ont pas tué, c'est certain; mais Allah l'a élevé auprès de lui..." (4,156). En fait pour les musulmans, Dieu aurait substitué à Issâ (Jésus) quelqu'un qui serait mort à sa place. "L'affirmation centrale de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ est considérée comme une extraordinaire erreur historique d'interprétation", explique Antoine Moussali.

De ces différences dans la perception de Dieu découlent des conceptions très différentes de l'existence croyante. "Ce qui fait la caractéristique de la foi musulmane, c'est l'obéissance à Dieu, commente le prêtre d'origine libanaise. Alors que la foi chrétienne souhaite amener l'être humain à une relation d'amour avec Dieu." La différence est de taille, même si certains musulmans, comme les soufis par exemple, valoriseront ce type d'intériorité.

La mise en avant de ces différences dans la perception de Dieu ne va-t-elle pas renforcer l'inimitié entre musulmans et chrétiens? Antoine Moussali ne le pense pas. Pour lui, il ne faut pas confondre le dialogue théologique avec le dialogue de la place publique ou le dialogue pour une meilleure justice dans nos sociétés. Ces deux dernières formes de dialogue sont à mener de concert. Le dialogue théologique est, lui, beaucoup plus difficile. "Et c'est un peu la croix du chrétien!" Une croix à porter pour davantage de clarté dans le débat.