Service civil dissuasif : la galère des candidats à l’objection de conscience
«Les autorités suisses préfèrent que les jeunes se fassent réformer sous des prétextes invraisemblables, plutôt que de les voir accomplir un service à la patrie en dehors de l’armée», affirme Bertrand Slavic, cofondateur de la Permanence service civil de Fribourg. En Suisse, comme ailleurs en Europe, le libre choix entre services civil et militaire n’existe pas. Mais, ici plus qu’ailleurs, tout est conçu pour dissuader les recrues de devenir civilistes. " En 1994,-1995, lors des discussions parlementaires sur la création du service civil, des députés ont dit explicitement qu'il fallait mettre en place une procédure qui n'attire pas trop de monde. aujourd'hui, on en parle de manière plus ouverte car il y a moins de demandes qu'on ne le pensait", explique M. Werenfels, directeur de l'organe d'exécution du service civil à Thoune. En 1994,le Conseil fédéral avait estimé qu’après l’entrée en vigueur de la loi sur le service civil en 1996, 2’700 demandes d’admission seraient déposées chaque année. Or, de 1996 à 2000, la moyenne n’est que de 1’600 requêtes par an1. Un résultat qui reflète clairement le manque d'intérêt des recrues.
En Italie, en Allemagne et en Autriche, une simple demande écrite faisant état du «conflit de conscience» du jeune appelé, lui suffit généralement à décrocher l’autorisation d’effectuer un service civil. Rien à voir avec le marathon infligé aux jeunes Suisses.
Tout d’abord, le candidat doit être déclaré apte au service militaire et incorporé dans une arme avant de pouvoir objecter et déposer une demande d’admission au service civil. Celle-ci est constituée d’un dossier dont la pièce maîtresse est un texte de deux ou trois pages résumant les convictions et le conflit de conscience de l’objecteur.
«En tant qu’étudiant en droit, je n’ai pas eu de difficulté à rédiger mes arguments, mais à chaque étape de la procédure, j’ai pensé à ceux qui n’avaient pas l’habitude de s’exprimer par écrit ou verbalement, et je me suis dit que cela devait être une véritable galère pour eux», déclare Karl-Alex Ridoré, qui a objecté après avoir fait son école de recrue dans le cadre d’un service sans arme.
Six mois à un an après avoir déposé sa demande, le requérant est convoqué par une commission d’admission et lui expose, au cours d’une audition individuelle, en quoi sa conscience lui interdit d’effectuer un service militaire. L’entretien dure une heure et le candidat se doit d’être très précis et cohérent dans son argumentation.
§Test en condition d'examenPour aider les volontaires dans ces démarches, des Permanences service civil existent dans tout le pays: «Nous fonctionnons un peu comme une auto-école, nous guidons certains candidats qui ont besoin de soutien pour structurer leurs idées et les exprimer" explique Roger Gaillard, ancien secrétaire du Centre Martin Luther King, un organisme qui milite pour la non-violence active et constitue la permanence de Lausanne. A Fribourg, Bertrand Slavic n’hésite pas à préparer des «simulations», destinées à tester les candidats en condition d’«examen»: «Je joue le rôle des jurés, je pose des questions. En général, cet exercice est très bénéfique aux jeunes qui doivent se présenter à l’entretien», souligne-t-il.
La procédure est contraignante et il ne faut rien négliger si l’on veut en venir à bout dans de bonnes conditions. «Nous disons toujours aux objecteurs qu’il faut impérativement réussir à se faire admettre lors de la première tentative. Le parcours est déjà assez difficile, mais il se transforme en cauchemar pour quelqu’un qui essuie un refus et doit faire recours», relève Bertrand Slavic.
§Information inexistanteLe manque d’information sur le service civil contribue également à expliquer le petit nombre de demandes d’admissions. «Dans le cadre de mon travail d’animateur, je côtoie des jeunes qui ont l’âge du recrutement et la plupart d’entre eux n’ont pas la moindre idée qu’il existe une alternative à l’armée, car l’information est quasiment inexistante», explique Stéphane Curat, un civiliste fribourgeois de 27 ans.
L’Organe central du service civil à Thoune n’est pas autorisé à faire de la promotion car «l’armée est la règle et le service civil doit rester l’exception», déclare son responsable M. Verenfels. Le projet de révision de la loi sur le service civil (LSC) qui sera soumis au Conseil national en décembre (voir encadré) prévoit une meilleure information officielle, mais ne donne aucune précision à ce sujet. Actuellement, seuls le site Internet du bureau de Thoune et quelques lignes dans une brochure du Département de la défense envoyée avant le recrutement constituent les supports de l’information officielle. D’après M. Verenfels, le bouche-à-oreille fonctionne bien: «Les jeunes ont de plus en plus connaissance de l’existence du service civil, ils en parlent entre eux. D’une certaine façon, la publicité se fait toute seule». Pour remédier à cette absence d’information officielle, les milieux pacifistes ont lancé une campagne de promotion intitulée; «Service civil, service viril» le premier octobre dernier.
§Un service trop longLa durée du service civil (une fois et demie supérieure au service militaire) est également un élément dissuasif. La projet de révision de la loi sur le service civil prévoit de réduire cette durée d’un facteur de 1,5 à 1,3. Une mesure que les associations non-violentes trouvent insuffisante parce qu’elle reste discriminatoire. «Tant que le service civil sera plus long que le service militaire, il y aura une inégalité et une injustice», estime Bertrand Slavic.
En plus du raccourcissement de la durée de service, le projet de révision de la loi sur le service civil prévoit l’exemption de l’audition individuelle pour les témoins de Jéhovah et la possibilité de déposer sa demande d'admission avant le recrutement. Des mesures qui sont encore loin d'approcher les réglementations souples en vigueur dans les pays voisins et confirment la volonté politique de confiner le service civil dans son rôle marginal. D’après M. Verenfels, «le modèle actuel est bon, nous considérons la question de l’objection comme réglée, car les procès sont désormais très rares». Une satisfaction qui compromet tout espoir de développement véritable du service civil.
§1 En 2001, le nombre de demandes d’admission est en augmentation de 20% par rapport à l'an passé. Une progression qui est en grande partie liée à l'augmentation générale du nombre de recrues constatée cette année.