Auteur d’un best-seller, Christiane Singer bientôt à Crêt-Bérard :« Chaque violence n’est rien d’autre qu’un cri de détresse ignoré »

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Auteur d’un best-seller, Christiane Singer bientôt à Crêt-Bérard :« Chaque violence n’est rien d’autre qu’un cri de détresse ignoré »

29 octobre 2001
Le succès de son dernier livre, « Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?» fait courir Christiane Singer d'une conférence à l'autre
Tout au plaisir du dialogue, elle va à la rencontre de ses lecteurs qui ont perçu comme elle les dangers d'une société tout entière projetée vers l'extérieur. Elle sera en Suisse le vendredi 16 novembre, pour une conférence-débat. Interview.

De son enfance à Marseille, Christiane Singer a gardé le verbe généreux et l’accent chantant ; catholique par sa mère, elle a hérité de son père, de tradition judaïque, une solide méfiance à l’égard de tout système de pensée qui se veut exclusif. Elle a cherché dans les autres religions des manières différentes d’honorer la création, ce qui lui a donné une grande liberté intérieure.

§Vous vous êtes bricolé votre propre religion ?J’ai horreur de tout ce qui est mélange et syncrétisme. Le monde des religions n’est pas un self-service. Chaque religion m’apparaît comme une autre manière unique de refléter l’univers, comme une facette lumineuse qui reflète à sa manière le même mystère. Je me sens à l’aise dans chaque religion quand je suis avec des êtres qui l’incarnent avec transparence. Une seule religion pour le monde entier me ferait froid dans le dos.

§ Qu’est-ce qui donne sens à votre vie ? La capacité de percevoir les miracles du monde. Tant qu’on ne les perçoit pas, on est dans l’ombre. Le sens de la vie affleure tout naturellement quand on sort de l’enfermement de sa propre histoire. Aussi longtemps qu’on se croit seul, séparé des autres, mal aimé de son père et de sa mère ou de ses enfants, qu’on souffre de ses propres manques, tant qu’on ne se définit que par son seul entourage, on est irrémédiablement dans la souffrance.

§Ne pas dénoncerles injustices et les scandales, n’est-ce pas tomber dans l’indifférence aux autres justement ? C’est quand je suis tellement rouée de coups en regardant les actualités à la télévision, quand je suis sans arrêt confrontée à une souffrance que je ne peux pas intégrer, que je bascule dans une forme d’impuissance. Ce qui se passe dans le monde est tellement terrible et je ne peux rien faire. A force d’être découragée dans mon élan de générosité face à toute la détresse du monde, je glisse lentement dans l’indifférence, l’impuissance et le désespoir. Il s’agit de changer radicalement de perspective. Au lieu de prendre parti, de m’agiter, d’entrer dans l’indignation, il me faut chercher en moi ce noyau indestructible, m’imprégner de cette paix qui est quelque part au-dedans de moi et la faire rayonner autour de moi. Arrêtons avant tout de nourrir cette panique qui est en nous. Toute violence est de la détresse qui n’a pas été vue, pas été entendue. Toute haine n’est rien d’autre que le cri de détresse d’un amour qui n’a pas été honoré. Il faut contrebalancer le désastre du monde par la paix intérieure, maintenir en soi cet espace indestructible et minuscule qui relève du divin. Ca paraît dérisoire, mais c’est le seul chemin! Tout ce qui est de l’ordre de la pacification fait partie de cet indestructible qui nous habite. Cette conscience-là est en chacun de nous, en chaque terroriste comme en chaque militaire américain qui est en train de déverser des bombes sur la tête des Afghans. Mais elle est recouverte par la haine.

§ Dieu n’a-t-il pas abandonné ceux qui sont victimes de cette immense violence ?Nous sommes dans l’illusion absolue quand nous plaçons Dieu en dehors de nous. Il n’y a que les humains qui abandonnent d’autres humains. Dieu a confié le monde à l’homme, dans un acte d’amour fou. Il s’est retiré de sa création, nous en a donné la responsabilité. La conception d’un Dieu qui gronde et intervient comme un maître d’école quand les hommes se conduisent mal, est grotesque et déshonorante. Une très belle histoire soufi dit que Dieu n’a que nos deux mains pour agir.

§Dans votre dernier livre, vous avez remanié un slogan de mai 68. Vous avez écrit : « Cours camarade, le vieux monde est… en toi ! » C’est quoi ce vieux monde ?C’est l’ombre, cette part de guerre qui est en moi ! Cette part de moi qui s’érige sans cesse en juge et prend parti. Cette dynamique d’indignation et de colère qui me met « hors de moi » me rend dangereux pour mon entourage, j’allais dire à mon insu. Seul celui qui ose reconnaître cette part d’ombre pourra en émerger et dire un jour : il est mort en moi le juge de mes frères.

§Vendredi 16 novembre 2001, 20h15, Crêt-Bérard , conférence-débat de Christiane Singer sur « L’inutile tornade de l’urgence ».§Christiane Singer, «Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?», éd. Albin Michel. Avril 2001.