Pas facile d'être aumônier universitaire dans un monde d'indifférence

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Pas facile d'être aumônier universitaire dans un monde d'indifférence

26 octobre 2001
Alors que débute l’année académique, les aumôneries tentent d’exister au milieu des campus
Petit tour en Suisse romande pour demander à ces pasteurs des Hautes Ecoles comment ils envisagent leur travail. Ne pas endoctriner, mais offrir écoute, accueil et accompagnement : leur pari, difficile, consiste à témoigner de l’Evangile sans jamais sortir leur Bible. La rentrée universitaire a sonné. Des milliers d’étudiants regagnent ou découvrent les campus. Cours, séminaires, loisirs culturels et sportifs : les programmes ne manquent pas. Et puis il y a les aumôneries, où catholiques et protestants redoublent d’efforts pour amener une minorité à s’intéresser à leurs activités.

Certains pasteurs ne le cachent pas : une partie de leur «public cible», pour parler le langage publicitaire, se bouche les oreilles quand il entend le mot aumônerie. Autant dire que ce n’est pas gagné d’avance. «Nos difficultés rejoignent celles vécues par les institutions religieuses, note à Lausanne Virgile Rochat. Nous souffrons de la mauvaise image des Eglises, mélange d’ennui, de contrainte et de conservatisme.» Ancien pasteur de paroisse, Virgile Rochat a fait ses premières armes d’aumônier dans des gymnases, à Nyon et Morges.

Son célèbre prédécesseur, Jean-François Habermacher, a dressé ce constat lors du passage de témoin, en 1999 : la population universitaire a changé. Pour garder leur place au sein des Alma Mater, les aumôneries doivent évoluer, changer de méthodes de travail. «Inviter une personnalité et coller des affiches pour une conférence ne servent plus à rien. Il faut aller vers les jeunes, s’enquérir de leurs besoins et de leurs désirs », estime Virgile Rochat.

§Du concret, pas des théoriesSur ce point, tout le monde s’accorde plus ou moins : les étudiants veulent du concret. «Nous ne sommes pas ici pour vendre le royaume de Dieu. Il vaut mieux se demander pourquoi le Christ est venu sur terre. Une idéologie qui offre une fuite du quotidien ne me convient pas, je m’intéresse au contraire à la façon d’assumer sa vie et celle des autres.» L'aumônier de l’Université de Lausanne conçoit sa charge à travers des camps, des rencontres, des séances de discussions en groupe ou en tête à tête. Il cherche à accompagner, à susciter la réflexion et «viser le développement de l’humanité de chacun avec une dimension spirituelle.»

Pas question, donc, de se promener bible sous le bras. Ou de parler de l’Evangile dès la troisième phrase. L’aumônerie du XXIe siècle doit être œcuménique, ouverte, et refuser tout prosélytisme.

§Un homme de couloirA Genève, Philippe Chanson se décrit comme un « homme de couloir qui doit inventer sa présence au cœur du campus. » Ici, les activités proposées sont vues comme des têtes de pont favorisant les contacts. Le pasteur tient à une célébration hebdomadaire, ce qui constitue plutôt une exception : «Cela demande beaucoup d’énergie au regard de la dizaine de personnes présentes en moyenne. Mais ces étudiants ne fréquentent en général aucune paroisse et ce rendez-vous constitue un noyau fort.»

Autres moments importants dans l’alma mater du bout du lac, les cafés théologiques et un grand séminaire annuel avec, cette fois, le thème du voyage. «Je me refuse à embrigader, précise Philippe Chanson. Je propose une écoute, une attention. Je me considère comme le témoin d’une présence autre. Je laisse naître les choses. Et si mon interlocuteur a envie de parler de foi, je témoigne, je donne quelques pistes théologiques. La Bible est dans le cœur. Il n’est pas nécessaire de l’avoir dans les mains.» Lors de son arrivée, l’Eglise (à Genève, séparée de l’Etat) lui a demandé de tenir à la spécificité de l’identité protestante. Pour lui ainsi que pour ses confrères, toute la question est là : comment rester pasteur tout en se refusant à évangéliser ? Où réside la frontière entre un lieu procurant une sollicitude neutre et une aumônerie sans religion ? A Neuchâtel, Norbert Martin règle le problème : «Je considère la spiritualité comme au delà de la religion. D’ailleurs, les questions catéchétiques constituent une infime minorité : on vient plutôt avec une attente pragmatique. Je vise un développement personnel et spirituel. Plutôt que de transmettre mes convictions, je tente d’aider l’autre à bien vivre avec les siennes. Je n’essaie pas de convaincre ; je préfère aimer les gens en leur laissant la place de développer leurs ressources intérieures. Ce qui ne signifie nullement que je suis neutre.»

Mettre l’humain au centre et non pas nécessairement la "bonne parole". « Peut-être est-ce justement ce que l’Evangile nous apprend », sourit à Fribourg Simone Weil. Un peu minorisée dans cette académie catholique, la jeune pasteure rappelle que les études supérieures correspondent pour beaucoup à l’âge où les interrogations sur la vie, où la quête de sens se font pressantes. «Mon accompagnement n’est pas thérapeutique. C’est celui d’une croyante, de quelqu’un qui a aussi une certaine image de l’être humain, création de Dieu qui a quelque chose en lui qui est là pour grandir. Se demander où est notre place dans le monde me paraît une démarche profondément spirituelle. La spiritualité a un rapport direct avec la vie quotidienne. Encore faut-il le découvrir.»