Analyse percutante de la nouvelle religion, celle du "moi, je"

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Analyse percutante de la nouvelle religion, celle du "moi, je"

17 septembre 2001
Une religion qui fasse du bien. Dans son dernier ouvrage, la sociologue française Danièle Hervieu-Léger analyse les contours d'une spiritualité désormais à la carte
Un paysage éclaté aux allures de grand marché, où foisonnent les groupes hétéroclites, auxquels chacun adhère selon ses besoins et son parcours. Nous voilà dans l'ère des bricolages spirituels et de la relativisation des dogmes, conséquence directe de l'affaiblissement des grandes traditions chrétiennes. Pour la sociologue, ce nouveau credo sonne comme un appel à la réalisation personnelle et au bonheur terrestre. Fini les fidèles. Place à des "sujets croyants autonomes." Des croyants "flottants", volontiers touristes, à la recherche de leurs propres vérités, "bricolant eux-mêmes leurs petits systèmes de signification, faisant passer l'authenticité de leur quête spirituelle" avant tout et surtout avant une quelconque devoir de conformité à une institution religieuse.

"La Religion en miettes ou la question des sectes", dernier et onzième ouvrage de la spécialiste et chercheuse française Danièle Hervieu-Léger, bouleverse nos certitudes. Et impose certaines réalités parfois dérangeantes. Si les "bricolages spirituels" prospèrent en Occident, c'est d'abord sur les ruines des Eglises établies.

Cette "fragilisation du modèle constitutionnel" permet de constantes migrations au sein d'un champ religieux désormais éclaté, transformant les fidèles en consommateurs désireux d'appartenances sur mesure qu'ils adapteront au rythme de leurs questionnements. Pour cette sociologue des religions de L'Ecole des hautes études en sciences sociales, "des croyants de toute origine revendiquent ainsi des identités religieuses composites et feuilletées, dans lesquelles se cristallisent les étapes successives et cumulées de leur recherche spirituelle personnelle." Une individualisation des croyances qui s'accompagne d'une relativisation des orthodoxies religieuses: une institution à elle seule détient de moins en moins la vérité. Dans une enquête menée en 1992 par Roland Campiche en Suisse, rappelle Danièle Hervieu-Léger, seuls deux pour cent des personnes interrogées se sont dits d'accord avec l'affirmation que "toutes les religions sont respectables, mais seule le mienne est vraie." Désormais, en matière spirituelle aussi, il n'y a pas d'autre vérité que personnelle.

§Recherche de soi et de son bien-êtreAutant dire, explique la sociologue, que ce bouleversement du croire nécessite d'aborder la délicate question des sectes – souvent étiquetées comme telle par une terminologie inadaptée – avec une autre approche que celle d'une répression et d'une stigmatisation à la française, d'une condamnation unilatérale née d'un pacte laïque avec la religion d'Etat que fut longtemps le catholicisme. Certes, les dérives et les manipulations existent et doivent être sanctionnées. Mais dans ce nouvel horizon spirituel où les dogmes fluctuent au gré des personnes (et au sein même des institutions), les nouveaux credos ne sont pas forcément synonymes de manipulation ou de perversion. "Parfait écho de l'impératif de réalisation personnelle qui s'impose désormais à tout individu, la spiritualité contemporaine (…), dans ses différentes variantes, peut être considérée comme une entreprise de récollection du sens, offrant aux individus à la fois un moyen d'accès à eux-mêmes et une vision du monde leur permettant d'organiser leurs expériences personnelles en un récit porteur de significations au-delà d'eux-mêmes."

Car le déclin des grandes religions n'éteint pas la soif de (se) comprendre et laisse l'homme moderne face aux contradictions et aux souffrances de notre monde. La recherche de sens devient alors celle d'un équilibre, d'un accomplissement individuel, de "l'unification de soi-même avec les représentions sociales dominantes d'une vie réussie." L'éclectisme intellectuel s'accompagne alors d'un réel pragmatisme dans la recherche du mieux-être individuel: "L'important est le résultat personnel obtenu, beaucoup plus que la conformité à une vérité unifiée et absolue." D'où l'incontestable succès du bouddhisme (ou de certaines de ses composantes souvent revisitées), dépourvu de toute référence dogmatique, s'attachant à relier le corps et l'esprit, avec une place centrale laissée à l'expérience; bref une religion qui "responsabilise l'individu et laisse chacun libre de suivre sa propre voie, tout en lui proposant un ancrage dans une tradition qui a fait ses preuves."

D'où, aussi, la naissance d'une "fast religion", à l'extérieur mais aussi à l'intérieur du christianisme, une religion chargée d'émotion et qui change la vie ici et tout de suite, à l'image des conversions du renouveau charismatique et pentecôtiste. "De manière générale, remarque la sociologue, la religion intéresse d'abord nos contemporains dans la mesure où elle "fait du bien", un bien qui peut être éprouvé par chacun dans les différents aspects de la vie sur terre." Il ne s'agit plus de préparer sa mort, mais de réussir sa vie. Face à ce désir, estime la chercheuse, l'Etat doit encore trouver le juste équilibre entre la protection des personnes et le droit au libre choix religieux, même extravagant.

§UTILE

Danièle Hervieu-Léger, "La Religion en miettes ou la question des sectes", coll. "Essai société", éditions Calmann-Lévy