Obsèques dans l’intimité controversées :Deuil difficile à faire pour les interdits d’adieux
16 mars 2001
Empêchés de prendre congé du défunt, les amis, les proches collaborateurs ou des voisins se sentent frustrés par des obsèques dont ils ont été exclus
Dans leur souci de discrétion, les familles expédient parfois trop vite un enterrement et ont ensuite de la peine à entamer le processus de deuil. La mort escamotée est difficile à vivre. Etat des lieux.« Les obsèques se sont déroulées dans l’intimité ». Cette petite phrase découverte dans le journal, à la page des avis mortuaires, a quelque chose de frustrant pour ceux qui apprennent le décès d’un ami, d’un voisin, d’un collaborateur ou d’un proche ignoré de la famille de ette façon. Ils se sentent exclus, empêchés de prendre congé. Virés en quelque sorte de l’intimité du défunt.
L’annonce est parfois libellée au futur, ce qui rend perplexe : est-ce que je compte au nombre des amis ? Mes relations m’autorisent-elles à assister au service funèbre ? Dans le doute, certains s’abstiennent mais en veulent secrètement à la famille qui n’a pas désiré partager son deuil.
§Individualisme au cimetière De l’avis d’Edmond Pittet, responsable aux Pompes funèbres générales à Lausanne, cette pratique de discrétion est en nette augmentation. Elle reflète la forte montée de l’individualisme dans notre société, la tendance à escamoter la mort et à vouloir faire l’économie du deuil. Elle est aussi révélatrice de l’exclusion et de la mise à l’écart des plus démunis. « Ceux qui ont l’impression qu’ils ne comptent pas dans la société, explique Edmond Pittet, souhaitent souvent être incinérés sans cérémonie, à la sauvette. Ils ne veulent pas être un fardeau pour les vivants. Parfois aussi, oubliés de tous, ils meurent dans l’abandon».
« J’ai assisté à l’enterrement d’une de mes clientes, morte dans le dénuement et la solitude, témoigne Marie, assistante sociale, j’étais seule avec le curé et l’organiste que j’avais conviés. L’organiste s’est mis à chanter, il avait une voix splendide, nous l’avons accompagné de tout notre cœur. Cela nous a fait du bien ! »
§Drames Les familles confrontées à un drame veulent souvent taire le suicide ou la mort d’un des leurs, malade du sida ou encore d’alcoolisme. Elles ne désirent pas devoir donner des explications et craignent le jugement des autres, poursuit M. Pittet, les gens doivent apprendre qu’il n’y a pas de mort honteuse et qu’il n’est pas besoin de s’imposer des souffrances supplémentaires en se privant de la compassion et de la sympathie des autres. J’encourage toujours les gens à accepter que d’autres viennent et les voient pleurer, à admettre qu’ils sont des endeuillés».
§A quoi se raccrocher ? Avec l’apparition de toute une génération très peu sensibilisée au religieux, on assiste à une augmentation des enterrements sans cérémonie. Parfois on fait même l’économie du recueillement silencieux ou musical. « Quand il n’y a aucun signe d’espérance dans un service funéraire, à quoi les vivants peuvent-ils se raccrocher ? » se demande Edmond Pittet.
Les obsèques escamotées peuvent se révéler frustrantes non seulement pour les amis ou les voisins écartés, mais aussi pour la famille qui s’est privée de gestes rituels mais surtout de l’affection des autres. Par la suite, elle doit parfois affronter des reproches . « Quand j’ai croisé ma voisine qui venait de perdre son mari et l’avait enterré sans rien nous dire, je me suis sentie gênée, alors j’ai changé de trottoir», témoigne une femme du quartier.
§Aider les vivants« Je respecte beaucoup le droit des familles à l’intimité, explique Philippe Genton, pasteur à Monthey, le deuil est déjà si lourd et oppressant que la famille ne se sent pas le courage d’affronter encore la présence d’une foule d’amis, fussent-ils pleins de sympathie. Pour le pasteur montheysan, l’intimité est un besoin prioritaire pour ceux qui souhaitent du calme, du temps et du silence pour réaliser et dire leur colère, leur souffrance et pour commencer à accepter la mort.
Mais il n’est pas dupe : le recours à l’intimité peut parfois être un moyen de s’accaparer le défunt, les circonstances de sa mort ou éviter la déception de découvrir une église vide lors des obsèques. En ne conviant personne, on est sûr de trouver personne ! Il ne se lasse pas de rappeler aux gens qui le contactent pour un décès, que les obsèques sont surtout là pour aider les vivants.
« J’ai remarqué, ajoute-t-il, lors de cérémonies sans discours ni rituels, que les proches ne savaient pas comment quitter le cimetière. Il leur manquait la parole ou le geste qui indique : maintenant, tu as la liberté de reprendre le cours de ta vie ».
§Inventer des rites appropriésPhilippe Genton préconise que les deux démarches en présence, désir d’intimité et désir de présence des amis, doivent inviter à l’accueil mutuel du point de vue de l’autre et à inventer des rites appropriés quand les anciens ou les habituels ne sont plus satisfaisants. « Nous ne sommes pas au service des rites, mais nous pratiquons, voire inventons des rites pour notre équilibre ».
Les professionnels du deuil recommandent d'oser prendre le temps nécessaire pour vivre les événements marquants de la vie et refuser d’expédier une inhumation sous prétexte d’avoir été pressé par le temps. Prolonger d'un jour ou deux un enterrement est toujours possible actuellement, ce déllai ne peut être refusé. Les pompes funèbres font tout un travail d’accompagnement des vivants parce qu'ils en ont réalisé l'importance et les enjeux.
Il est aussi possible de demander un service d’actions de grâce après l’inhumation dans l’intimité des proches parents, pour donner la possibilité à chacun de faire ses adieux.
L’annonce est parfois libellée au futur, ce qui rend perplexe : est-ce que je compte au nombre des amis ? Mes relations m’autorisent-elles à assister au service funèbre ? Dans le doute, certains s’abstiennent mais en veulent secrètement à la famille qui n’a pas désiré partager son deuil.
§Individualisme au cimetière De l’avis d’Edmond Pittet, responsable aux Pompes funèbres générales à Lausanne, cette pratique de discrétion est en nette augmentation. Elle reflète la forte montée de l’individualisme dans notre société, la tendance à escamoter la mort et à vouloir faire l’économie du deuil. Elle est aussi révélatrice de l’exclusion et de la mise à l’écart des plus démunis. « Ceux qui ont l’impression qu’ils ne comptent pas dans la société, explique Edmond Pittet, souhaitent souvent être incinérés sans cérémonie, à la sauvette. Ils ne veulent pas être un fardeau pour les vivants. Parfois aussi, oubliés de tous, ils meurent dans l’abandon».
« J’ai assisté à l’enterrement d’une de mes clientes, morte dans le dénuement et la solitude, témoigne Marie, assistante sociale, j’étais seule avec le curé et l’organiste que j’avais conviés. L’organiste s’est mis à chanter, il avait une voix splendide, nous l’avons accompagné de tout notre cœur. Cela nous a fait du bien ! »
§Drames Les familles confrontées à un drame veulent souvent taire le suicide ou la mort d’un des leurs, malade du sida ou encore d’alcoolisme. Elles ne désirent pas devoir donner des explications et craignent le jugement des autres, poursuit M. Pittet, les gens doivent apprendre qu’il n’y a pas de mort honteuse et qu’il n’est pas besoin de s’imposer des souffrances supplémentaires en se privant de la compassion et de la sympathie des autres. J’encourage toujours les gens à accepter que d’autres viennent et les voient pleurer, à admettre qu’ils sont des endeuillés».
§A quoi se raccrocher ? Avec l’apparition de toute une génération très peu sensibilisée au religieux, on assiste à une augmentation des enterrements sans cérémonie. Parfois on fait même l’économie du recueillement silencieux ou musical. « Quand il n’y a aucun signe d’espérance dans un service funéraire, à quoi les vivants peuvent-ils se raccrocher ? » se demande Edmond Pittet.
Les obsèques escamotées peuvent se révéler frustrantes non seulement pour les amis ou les voisins écartés, mais aussi pour la famille qui s’est privée de gestes rituels mais surtout de l’affection des autres. Par la suite, elle doit parfois affronter des reproches . « Quand j’ai croisé ma voisine qui venait de perdre son mari et l’avait enterré sans rien nous dire, je me suis sentie gênée, alors j’ai changé de trottoir», témoigne une femme du quartier.
§Aider les vivants« Je respecte beaucoup le droit des familles à l’intimité, explique Philippe Genton, pasteur à Monthey, le deuil est déjà si lourd et oppressant que la famille ne se sent pas le courage d’affronter encore la présence d’une foule d’amis, fussent-ils pleins de sympathie. Pour le pasteur montheysan, l’intimité est un besoin prioritaire pour ceux qui souhaitent du calme, du temps et du silence pour réaliser et dire leur colère, leur souffrance et pour commencer à accepter la mort.
Mais il n’est pas dupe : le recours à l’intimité peut parfois être un moyen de s’accaparer le défunt, les circonstances de sa mort ou éviter la déception de découvrir une église vide lors des obsèques. En ne conviant personne, on est sûr de trouver personne ! Il ne se lasse pas de rappeler aux gens qui le contactent pour un décès, que les obsèques sont surtout là pour aider les vivants.
« J’ai remarqué, ajoute-t-il, lors de cérémonies sans discours ni rituels, que les proches ne savaient pas comment quitter le cimetière. Il leur manquait la parole ou le geste qui indique : maintenant, tu as la liberté de reprendre le cours de ta vie ».
§Inventer des rites appropriésPhilippe Genton préconise que les deux démarches en présence, désir d’intimité et désir de présence des amis, doivent inviter à l’accueil mutuel du point de vue de l’autre et à inventer des rites appropriés quand les anciens ou les habituels ne sont plus satisfaisants. « Nous ne sommes pas au service des rites, mais nous pratiquons, voire inventons des rites pour notre équilibre ».
Les professionnels du deuil recommandent d'oser prendre le temps nécessaire pour vivre les événements marquants de la vie et refuser d’expédier une inhumation sous prétexte d’avoir été pressé par le temps. Prolonger d'un jour ou deux un enterrement est toujours possible actuellement, ce déllai ne peut être refusé. Les pompes funèbres font tout un travail d’accompagnement des vivants parce qu'ils en ont réalisé l'importance et les enjeux.
Il est aussi possible de demander un service d’actions de grâce après l’inhumation dans l’intimité des proches parents, pour donner la possibilité à chacun de faire ses adieux.