Avec « Ciel , mon fric!», le griot africain Saïdou Abatcha dénonce la jungle économique

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Avec « Ciel , mon fric!», le griot africain Saïdou Abatcha dénonce la jungle économique

8 mars 2001
Héritier des griots qui ont enchanté son enfance camerounaise, le conteur et comédien Saïdou Abatcha s’est frotté à la pensée occidentale avant de se lancer dans des « one-man shows » décapants dans lesquels il dit ses quatre vérités au puissant comme au simple pékin
Pour la campagne de Pain pour le Prochain et d’Action de Carême, il a spécialement conçu un spectacle sur l’argent, qu’il promène ces jours-ci sur les scènes suisses romandes mais aussi dans la rue à Bienne, La Chaux-de-Fonds, Lausanne et Fribourg. Portrait.

§(Photos disponibles par e-mail à la rédaction)Saïdou Abatcha a le pouvoir de fasciner avec des mots, qu’il détourne, lance en l’air, rattrape en virtuose, assemble avec humour et civilise avec un bon sens roboratif. Il a hérité son baratin de baladin des griots de son village natal, y a ajouté un faux air candide et son regard intense et il amène son public avec humour là exactement où il veut en venir, au scandale de l’injustice, de l’exclusion, à l’exacte blessure de ceux qu’on rabaisse, qu’on dépouille, dont on bafoue les droits élémentaires.

§Liberté de pression Il a choisi de combattre les inégalités entre les êtres, quelles que soient leur origine, leur couleur et leur sexe et défend, sous couvert de divertissement, la liberté d’expression contre « la liberté de pression» qui, à ses yeux, gagne du terrain chaque jour. « Si les médias ne font plus leur travail de griot, prédit-il, et ne dénoncent pas sans relâche scandales, injustices et inégalités, alors le monde sera complètement pourri ».

En seigneur des mots, il fait voir les dysfonctionnements de la société, aussi bien du monde dit développé que du monde « enveloppé », adjectif qu’il emploie pour dire à quel point le tiers-monde est roulé dans la farine. Il s’élève contre la façon dont les biens sont dilapidés en Afrique, au profit d’une petite poignée de nantis qui s’empressent de planquer en Occident l’argent détourné de l'aide humanitaire. « Je gratte là où ça fait mal », aime-t-il à résumer.

§Fil à fric Dans « Ciel, mon fric », écrit tout exprès pour la campagne de Pain pour le Prochain, et qui sera joué dans le rue et sur des scènes de théâtre, il blanchit de l’argent sale et le fait sécher sur un fil à fric, (Afrique!) au soleil de Davos. Cet argent, qui continue de sentir mauvais, il le met dans un Bancomat où tout le monde le recycle machinalement.

Saïdou Abatcha est un conteur-né. D’une famille très attachée à la tradition orale, il a été bercé par les histoires que les griots contaient à la veillée. Parfois on lui demandait de raconter une histoire. Il se piquait au jeu. Au lycée, on le poussait sur le devant de la scène, lors des fêtes de fin d’année et les réunions de parents, pour dire un sketch. Sa voie était toute tracée.

La réalisatrice française Claire Denis a donné un coup de pouce à sa carrière en l’engageant pour son film « Chocolat ». Karim Dridi lui offrità son tour un rôle dans son film « Bye, bye ». Le théâtre enfin l’amena à Marseille.

Engagé pour jouer une version camerounaise du « Don Juan » de Molière au Festival d’Avignon en 1992, il enchaîne ensuite avec l’adaptation du célèbre roman de Roy Lewis, "Pourquoi j’ai mangé mon père ». Il se lance alors dans son premier one-man show, baptisé « Humour noir », qui récolte les honneurs et les prix en France et en Belgique.

L'exigence de solidarité qui l’empêche d’être indifférent aux autres, acquise auprès des griots de son village, le pousse jour après jour à dénoncer ce qu’il n’approuve pas. Il réussit à redonner du courage et du mordant à ceux qui se sentent impuissants à changer le monde. Il suffit parfois d'un rire libérateur pour oser être sage plutôt que fou.