Dieu de 7 à 77 ans: les étapes incontournables de notre développement
3 novembre 2000
Croit-on en le même Dieu à 7 et 77 ans? Grand manitou redoutable aux yeux du petit enfant, Dieu peut devenir pour l'adulte une source vitale qui irrigue chaque instant de la vie
Entre deux, le croyant franchit cinq étapes qui occasionnent des chamboulements spirituels et une réorganisation complète de la foi. Visite de ce parcours où l'on côtoie ses gouffres intérieurs, sous la houlette du théologien et psychopédagogue vaudois Pierre Glardon.
Photos de Pierre Glardon disponibles à Protestinfo au 021/ 312 89 54.Parallèlement au développement affectif et intellectuel, l'être humain évolue tout au long de sa vie sur le plan religieux. Les recherches en psychologie et en pédagogie - voir encadré - ont établi que l'itinéraire du croyant se décline en cinq grandes étapes au cours desquelles la vision de Dieu change de fond en comble. Le trajet s'effectue avec plus ou moins de rapidité, selon les individus. Certaines personnes restent bloquées à un stade ou régressent au stade précédent. Mais globalement, la majorité des croyants effectuent la totalité du parcours. Avec, à chaque transition, une remise en cause de la foi qui peut parfois déboucher sur l'abandon pure et simple de celle-ci.
§De 0 à 10 ans: Dieu est toutJusqu'à l'âge de 4-5 ans, Dieu jouit d'un pouvoir absolu sur le monde. Il donne santé, maladie, joie ou désespoir. Il envoie des punitions justifiées s'il n'est pas obéi. Il faut sans cesse accomplir sa volonté de peur de briser sa relation avec lui. Cette vision de la "Toute-Puissance" prend fin quand le petit enfant constate que le monde est trop complexe pour être gouverné exclusivement par Dieu: "Il ne dirige pas la météo, pas plus qu'il ni n'est pas responsable d'une éruption volcanique", remarque Pierre Glardon.
L'enfant bascule alors dans une relation de "donnant-donnant" où, comme avec ses parents, il est possible de marchander pour obtenir des récompenses. Si l'on est gentil, récite la bonne prière, allume la bonne bougie, tout ira bien et nos désirs de santé, de bonheur et de succès pourront se réaliser. "On croit qu'on peut influencer la volonté de Dieu", commente Pierre Glardon. Tout s'écroule le jour où l'on prie tant et plus pour sauver sa grand-mère accidentée, et que Dieu reste sourd à nos appels. Devant pareille injustice, il n'y a pas d'autre issue que de transformer sa croyance.
§De l'adolescence à 30/40 ans: Dieu lointainDieu ayant laissé mourir un être cher, c'est qu'il se désintéresse du monde ici-bas. Il se situe ailleurs, loin, dans un univers qui ne communique pas avec le nôtre. Dans ce contexte, il convient d'agir de la manière la plus morale possible et de consacrer ses forces à humaniser le monde, à en adoucir les règles. "A la limite, la morale peut remplacer la foi, souligne Pierre Glardon. Les gens les plus marqués par l'éducation chrétienne sont tentés d'adhérer à une morale toute puissante, incontestable". A la longue, pourtant, l'absence de liaison avec Dieu devient de plus en plus pénible. On aspire à trouver l'unité cosmique qu'implique en principe l'existence de Dieu. "On se dit que tout cela vient bien de quelque part, qu'il y a un ordre voulu du monde". Redécouvrant la présence de Dieu dans le monde, on tient à contribuer à son œuvre en s'engageant au service de l'Eglise et des œuvres charitables.
§De 30/40 ans à 65 ans: Dieu a un plan pour moi Cette phase d'engagement est d'autant plus marquée que l'on a atteint ses limites sur le plan familial et professionnel: "Les enfants sont grands, j'ai un poste de chef dans l'entreprise, je ne monterai pas plus haut dans la hiérarchie. Dès lors, quel sens donner à ma vie?". En guise de réponse, on prend part à la vie de l'Eglise en tant que conseiller de paroisse, catéchète, ou délégué au Synode (Parlement dans l'Eglise protestante). Outre la satisfaction de donner gratuitement de son temps, on est convaincu que Dieu finira bien par nous récompenser de nos efforts puisqu'on travaille à l'essor de son Eglise. Le doute apparaît quand on s'aperçoit qu'après des années de bons et loyaux services, on ne connaît toujours pas la paix intérieure. "On a cru que l'activisme religieux apporterait des réponses aux grandes questions. On s'est trompé. Concrètement, on se sent toujours aussi mal", souligne Pierre Glardon.
§Quête intérieureA ce stade, la dernière dimension qui n'a pas encore été explorée et celle du moi intérieur. Commence alors une quête destinée à se connaître en profondeur et à unifier son être. "On cherche Dieu au sein de sa propre existence, dans les rencontres avec autrui, dans la relation d'amitié fraternelle avec ses proches, dans le pardon mutuel". Cette quête s'accomplit le plus souvent avec l'aide d'un maître spirituel qui initie à la méditation. La méditation occupe une place importante. Elle sert à cultiver sa relation à Dieu, à épurer son comportement, à prendre conscience de ses réussites, ses échecs, ses déceptions, ses zones d'ombre. Elle permet aussi d'agir dans un esprit différent, loin de l'urgence et sans attendre de résultat. On se consacre à une seule activité à la fois, et tant pis si l'orphelinat pour lequel on récolte des fonds n'est pas immédiatement opérationnel. "On cesse de confondre sa propre gloire avec la gloire de Dieu".
§Saint ou fou?Pour une majorité des gens, le cheminement spirituel s'arrête là. Mais quelques-uns franchissent la ligne rouge qui nous sépare d'un ultime stade où Dieu échappe à nos représentations mentales. On entre dans le champ des expériences mystiques où l'on ne maîtrise plus le cours des choses, où le mot même Dieu ne veut plus rien dire. Il est difficile de savoir ce qu'il se passe, étant donné le peu de témoins ayant atteint ce stade d'illumination. D'après les récits de Saint Jean-de-la-Croix et de certains maîtres spirituels bouddhistes, on deviendrait capable d'intégrer les contraires, de sentir le monde non plus de l'extérieur, mais intuitivement et méditativement, comme de l'intérieur. On fait totalement partie du plan de Dieu grâce à une capacité de communication et de solidarité universelle. Mais la tentative de rencontrer Dieu ne se passe pas toujours aussi bien. Elle peut s'avérer terrifiante et renvoyer l'homme à ses gouffres intérieurs. C'est "le passage de la nuit" dont parle Saint Jean-de-la-Croix. "Dans la tradition juive, on dit que trois personnes ont essayé d'étudier les textes ésotérico-mystiques de la Cabale. L'un est devenu fou, l'autre s'est suicidé, le troisième est devenu un saint car il était guidé par un maître spirituel", conclut Pierre Glardon.
Photos de Pierre Glardon disponibles à Protestinfo au 021/ 312 89 54.Parallèlement au développement affectif et intellectuel, l'être humain évolue tout au long de sa vie sur le plan religieux. Les recherches en psychologie et en pédagogie - voir encadré - ont établi que l'itinéraire du croyant se décline en cinq grandes étapes au cours desquelles la vision de Dieu change de fond en comble. Le trajet s'effectue avec plus ou moins de rapidité, selon les individus. Certaines personnes restent bloquées à un stade ou régressent au stade précédent. Mais globalement, la majorité des croyants effectuent la totalité du parcours. Avec, à chaque transition, une remise en cause de la foi qui peut parfois déboucher sur l'abandon pure et simple de celle-ci.
§De 0 à 10 ans: Dieu est toutJusqu'à l'âge de 4-5 ans, Dieu jouit d'un pouvoir absolu sur le monde. Il donne santé, maladie, joie ou désespoir. Il envoie des punitions justifiées s'il n'est pas obéi. Il faut sans cesse accomplir sa volonté de peur de briser sa relation avec lui. Cette vision de la "Toute-Puissance" prend fin quand le petit enfant constate que le monde est trop complexe pour être gouverné exclusivement par Dieu: "Il ne dirige pas la météo, pas plus qu'il ni n'est pas responsable d'une éruption volcanique", remarque Pierre Glardon.
L'enfant bascule alors dans une relation de "donnant-donnant" où, comme avec ses parents, il est possible de marchander pour obtenir des récompenses. Si l'on est gentil, récite la bonne prière, allume la bonne bougie, tout ira bien et nos désirs de santé, de bonheur et de succès pourront se réaliser. "On croit qu'on peut influencer la volonté de Dieu", commente Pierre Glardon. Tout s'écroule le jour où l'on prie tant et plus pour sauver sa grand-mère accidentée, et que Dieu reste sourd à nos appels. Devant pareille injustice, il n'y a pas d'autre issue que de transformer sa croyance.
§De l'adolescence à 30/40 ans: Dieu lointainDieu ayant laissé mourir un être cher, c'est qu'il se désintéresse du monde ici-bas. Il se situe ailleurs, loin, dans un univers qui ne communique pas avec le nôtre. Dans ce contexte, il convient d'agir de la manière la plus morale possible et de consacrer ses forces à humaniser le monde, à en adoucir les règles. "A la limite, la morale peut remplacer la foi, souligne Pierre Glardon. Les gens les plus marqués par l'éducation chrétienne sont tentés d'adhérer à une morale toute puissante, incontestable". A la longue, pourtant, l'absence de liaison avec Dieu devient de plus en plus pénible. On aspire à trouver l'unité cosmique qu'implique en principe l'existence de Dieu. "On se dit que tout cela vient bien de quelque part, qu'il y a un ordre voulu du monde". Redécouvrant la présence de Dieu dans le monde, on tient à contribuer à son œuvre en s'engageant au service de l'Eglise et des œuvres charitables.
§De 30/40 ans à 65 ans: Dieu a un plan pour moi Cette phase d'engagement est d'autant plus marquée que l'on a atteint ses limites sur le plan familial et professionnel: "Les enfants sont grands, j'ai un poste de chef dans l'entreprise, je ne monterai pas plus haut dans la hiérarchie. Dès lors, quel sens donner à ma vie?". En guise de réponse, on prend part à la vie de l'Eglise en tant que conseiller de paroisse, catéchète, ou délégué au Synode (Parlement dans l'Eglise protestante). Outre la satisfaction de donner gratuitement de son temps, on est convaincu que Dieu finira bien par nous récompenser de nos efforts puisqu'on travaille à l'essor de son Eglise. Le doute apparaît quand on s'aperçoit qu'après des années de bons et loyaux services, on ne connaît toujours pas la paix intérieure. "On a cru que l'activisme religieux apporterait des réponses aux grandes questions. On s'est trompé. Concrètement, on se sent toujours aussi mal", souligne Pierre Glardon.
§Quête intérieureA ce stade, la dernière dimension qui n'a pas encore été explorée et celle du moi intérieur. Commence alors une quête destinée à se connaître en profondeur et à unifier son être. "On cherche Dieu au sein de sa propre existence, dans les rencontres avec autrui, dans la relation d'amitié fraternelle avec ses proches, dans le pardon mutuel". Cette quête s'accomplit le plus souvent avec l'aide d'un maître spirituel qui initie à la méditation. La méditation occupe une place importante. Elle sert à cultiver sa relation à Dieu, à épurer son comportement, à prendre conscience de ses réussites, ses échecs, ses déceptions, ses zones d'ombre. Elle permet aussi d'agir dans un esprit différent, loin de l'urgence et sans attendre de résultat. On se consacre à une seule activité à la fois, et tant pis si l'orphelinat pour lequel on récolte des fonds n'est pas immédiatement opérationnel. "On cesse de confondre sa propre gloire avec la gloire de Dieu".
§Saint ou fou?Pour une majorité des gens, le cheminement spirituel s'arrête là. Mais quelques-uns franchissent la ligne rouge qui nous sépare d'un ultime stade où Dieu échappe à nos représentations mentales. On entre dans le champ des expériences mystiques où l'on ne maîtrise plus le cours des choses, où le mot même Dieu ne veut plus rien dire. Il est difficile de savoir ce qu'il se passe, étant donné le peu de témoins ayant atteint ce stade d'illumination. D'après les récits de Saint Jean-de-la-Croix et de certains maîtres spirituels bouddhistes, on deviendrait capable d'intégrer les contraires, de sentir le monde non plus de l'extérieur, mais intuitivement et méditativement, comme de l'intérieur. On fait totalement partie du plan de Dieu grâce à une capacité de communication et de solidarité universelle. Mais la tentative de rencontrer Dieu ne se passe pas toujours aussi bien. Elle peut s'avérer terrifiante et renvoyer l'homme à ses gouffres intérieurs. C'est "le passage de la nuit" dont parle Saint Jean-de-la-Croix. "Dans la tradition juive, on dit que trois personnes ont essayé d'étudier les textes ésotérico-mystiques de la Cabale. L'un est devenu fou, l'autre s'est suicidé, le troisième est devenu un saint car il était guidé par un maître spirituel", conclut Pierre Glardon.