Comment distinguer les vrais gourous des escrocs?
25 septembre 2000
Le 1er "Congrès suisse contre l'abus de pouvoir" qui vient de se tenir à Berne a été marqué par l'intervention d'Ursula Wirtz, psychothérapeute et auteur de plusieurs ouvrages sur l'abus de pouvoir dans le domaine spirituel
Forte d'une grande expérience thérapeutique auprès de victimes de sectes, elle connaît bien leur calvaire ainsi que les mécanismes de manipulation utilisés par les pseudo-gourous. Interview.
Photos d'Ursula Wirtz au 01/252.70.21§Comme psychothérapeute, vous soignez des patients qui ont subi l'abus de pouvoir d'un gourou, par exemple au sein d'une secte. Quels en sont les conséquences psychiques?Les effets de l'abus de pouvoir dans le domaine spirituel peuvent être dévastateurs. Les victimes ont perdu toute confiance en elles-mêmes et peinent à nouer des relations sociales. Elles se demandent comment elles ont pu se livrer pareillement à un faux prophète. Souvent, elles ne savent plus qui elles sont, car le gourou les a persuadées qu'elles devaient se débarrasser de leur ego, leur système de valeurs, leurs anciennes croyances, cesser de voir leurs amis et leur famille. Il les a persuadées que seule la soumission pouvait déboucher sur une transformation spirituelle.
§L'atteinte est donc très grave?Oui. C'est l'être profond qui est blessé, le "moi spirituel". Un gourou est censé apporter des réponses aux grandes questions existentielles: d'où venons-nous, où va-t-on? Cela lui confère une autorité considérable. On attend de lui rien de moins qu'il donne sens à la vie. Comment admettre ensuite qu'il puisse y avoir tromperie sur des sujets aussi graves, qui plus est, au nom de Dieu? Résultat, le choc psychique est à la mesure des espoirs placés en un gourou qui dit posséder les clés de la vérité, et beaucoup de victimes rejettent Dieu qui a permis pareille supercherie.
§Un tel traumatisme est-il difficile de soigner?Très difficile. Les victimes de sectes se méfient des thérapeutes. Cela leur rappelle leur ancien gourou qui occupait aussi une position d'autorité. Etablir une relation de confiance prend donc beaucoup de temps. Sans compter qu'on leur a inculqué qu'il leur arriverait malheur si elles parlaient ouvertement.
§Y a-t-il un profil type de la victime d'une secte?Non, il n'y a pas de victime type. Chacun de nous peut céder un jour ou l'autre aux sollicitations d'une secte, par suite d'un traumatisme tel que la mort d'un proche ou parce qu'on se sent seul, frustré, désorienté. Certaines circonstances de la vie rendent vulnérables, et l'intelligence n'est d'aucun secours dans ces moments-là. Mais il est vrai qu'il existe des facteurs aggravants, telles une mauvaise estime de soi, la solitude, ou la propension à se soumettre à l'autorité.
§Quels outils utilisent les gourous pour asservir leurs disciples?Cela dépend. Ceux qui se situent dans la tradition orientale utilisent la contemplation et la méditation, tandis que les sectes issues du christianisme se servent de méthodes en usage chez les psychologues. Par exemple, les scientologues détournent à leur profit des méthodes courantes en psychologie pour modifier l'état mental. Ils se les approprient de façon perverse, non pas pour soigner, mais pour exploiter. Ils sont également friands de tout ce qui touche à l'art oratoire. Ils y puisent essentiellement des stratagèmes pour impressionner leurs disciples.
§Comment distinguer les vrais gourous des escrocs?Premièrement, la plus grande méfiance s'impose face à un leader spirituel qui prétend ne pas s'intéresser aux choses matérielles et demande à ses disciples de payer, ou qui parle de paix alors qu'il ne se déplace jamais sans ses gardes du corps. Ce genre de contradictions est généralement révélateur. D'autre part, il convient d'analyser sa personnalité. Est-il modeste, tolérant, calme, affectueux avec son entourage, ou avide de pouvoir, narcissique et égocentrique? Est-il au sommet d'une hiérarchie imposant des lois très strictes? Prédit-il des malheurs à ceux qui envisagent de le quitter? Ou encouragent-ils le dialogue, la transparence et est prêt à reconnaître qu'il est faillible.
§Des abus de pouvoir de ce type peuvent-ils aussi se produire dans les Eglises traditionnelles, protestantes et catholiques?Oui. Les abus de pouvoir se produisent partout, à l'école, au travail, à l'armée, entre hommes et femmes, et ils sont d'autant plus fréquents dans des institutions hiérarchiques. A mon avis, la déclaration "Dominus Jesus" du Vatican représente un abus de pouvoir. Dire "Nous, Eglise catholique, détenons la vérité" est une affirmation sectaire. Les sectes ont exactement le même genre de prétention à la vérité.
§Comment combattre efficacement les abus de pouvoir dans le domaine spirituel?Il me semble qu'une table ronde réunissant tous les grands leaders spirituels, à l'image d'une table ronde politique, permettrait d'instaurer davantage de transparence, de démocratie et de dialogue au sein des Eglises. Par ce moyen, on pourrait lutter contre la tendance de certains leaders à se présenter comme détenteurs des vérités divines. D'autre part, je crois que l'insécurité et l'autoritarisme qui règnent dans la société actuelle poussent les gens dans les bras de faux prophètes. Si on arrivait à diminuer ce climat de peur, les solutions faciles proposées par les gourous perdraient leur pouvoir de séduction.
§Propos recueillis par Jacques-Olivier Pidoux§Hunger nach Sinn/ Menschen in Grenz Situazionen - grenzen der Psychotherapie, Ursula Wirtz und Jürg Zebele, Zürich, Kreuz Verlag
Photos d'Ursula Wirtz au 01/252.70.21§Comme psychothérapeute, vous soignez des patients qui ont subi l'abus de pouvoir d'un gourou, par exemple au sein d'une secte. Quels en sont les conséquences psychiques?Les effets de l'abus de pouvoir dans le domaine spirituel peuvent être dévastateurs. Les victimes ont perdu toute confiance en elles-mêmes et peinent à nouer des relations sociales. Elles se demandent comment elles ont pu se livrer pareillement à un faux prophète. Souvent, elles ne savent plus qui elles sont, car le gourou les a persuadées qu'elles devaient se débarrasser de leur ego, leur système de valeurs, leurs anciennes croyances, cesser de voir leurs amis et leur famille. Il les a persuadées que seule la soumission pouvait déboucher sur une transformation spirituelle.
§L'atteinte est donc très grave?Oui. C'est l'être profond qui est blessé, le "moi spirituel". Un gourou est censé apporter des réponses aux grandes questions existentielles: d'où venons-nous, où va-t-on? Cela lui confère une autorité considérable. On attend de lui rien de moins qu'il donne sens à la vie. Comment admettre ensuite qu'il puisse y avoir tromperie sur des sujets aussi graves, qui plus est, au nom de Dieu? Résultat, le choc psychique est à la mesure des espoirs placés en un gourou qui dit posséder les clés de la vérité, et beaucoup de victimes rejettent Dieu qui a permis pareille supercherie.
§Un tel traumatisme est-il difficile de soigner?Très difficile. Les victimes de sectes se méfient des thérapeutes. Cela leur rappelle leur ancien gourou qui occupait aussi une position d'autorité. Etablir une relation de confiance prend donc beaucoup de temps. Sans compter qu'on leur a inculqué qu'il leur arriverait malheur si elles parlaient ouvertement.
§Y a-t-il un profil type de la victime d'une secte?Non, il n'y a pas de victime type. Chacun de nous peut céder un jour ou l'autre aux sollicitations d'une secte, par suite d'un traumatisme tel que la mort d'un proche ou parce qu'on se sent seul, frustré, désorienté. Certaines circonstances de la vie rendent vulnérables, et l'intelligence n'est d'aucun secours dans ces moments-là. Mais il est vrai qu'il existe des facteurs aggravants, telles une mauvaise estime de soi, la solitude, ou la propension à se soumettre à l'autorité.
§Quels outils utilisent les gourous pour asservir leurs disciples?Cela dépend. Ceux qui se situent dans la tradition orientale utilisent la contemplation et la méditation, tandis que les sectes issues du christianisme se servent de méthodes en usage chez les psychologues. Par exemple, les scientologues détournent à leur profit des méthodes courantes en psychologie pour modifier l'état mental. Ils se les approprient de façon perverse, non pas pour soigner, mais pour exploiter. Ils sont également friands de tout ce qui touche à l'art oratoire. Ils y puisent essentiellement des stratagèmes pour impressionner leurs disciples.
§Comment distinguer les vrais gourous des escrocs?Premièrement, la plus grande méfiance s'impose face à un leader spirituel qui prétend ne pas s'intéresser aux choses matérielles et demande à ses disciples de payer, ou qui parle de paix alors qu'il ne se déplace jamais sans ses gardes du corps. Ce genre de contradictions est généralement révélateur. D'autre part, il convient d'analyser sa personnalité. Est-il modeste, tolérant, calme, affectueux avec son entourage, ou avide de pouvoir, narcissique et égocentrique? Est-il au sommet d'une hiérarchie imposant des lois très strictes? Prédit-il des malheurs à ceux qui envisagent de le quitter? Ou encouragent-ils le dialogue, la transparence et est prêt à reconnaître qu'il est faillible.
§Des abus de pouvoir de ce type peuvent-ils aussi se produire dans les Eglises traditionnelles, protestantes et catholiques?Oui. Les abus de pouvoir se produisent partout, à l'école, au travail, à l'armée, entre hommes et femmes, et ils sont d'autant plus fréquents dans des institutions hiérarchiques. A mon avis, la déclaration "Dominus Jesus" du Vatican représente un abus de pouvoir. Dire "Nous, Eglise catholique, détenons la vérité" est une affirmation sectaire. Les sectes ont exactement le même genre de prétention à la vérité.
§Comment combattre efficacement les abus de pouvoir dans le domaine spirituel?Il me semble qu'une table ronde réunissant tous les grands leaders spirituels, à l'image d'une table ronde politique, permettrait d'instaurer davantage de transparence, de démocratie et de dialogue au sein des Eglises. Par ce moyen, on pourrait lutter contre la tendance de certains leaders à se présenter comme détenteurs des vérités divines. D'autre part, je crois que l'insécurité et l'autoritarisme qui règnent dans la société actuelle poussent les gens dans les bras de faux prophètes. Si on arrivait à diminuer ce climat de peur, les solutions faciles proposées par les gourous perdraient leur pouvoir de séduction.
§Propos recueillis par Jacques-Olivier Pidoux§Hunger nach Sinn/ Menschen in Grenz Situazionen - grenzen der Psychotherapie, Ursula Wirtz und Jürg Zebele, Zürich, Kreuz Verlag
