15ème Journées Mondiales de la Jeunesse à Rome:L'émotion et après?

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15ème Journées Mondiales de la Jeunesse à Rome:L'émotion et après?

20 août 2000
Professeur de sociologie de la religion à l’Université de Florence, Arnaldo Nesti a fait le déplacement de Rome pour observer le spectacle des 2 millions de jeunes rassemblés à Rome pour les 15èmes Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ)
Selon lui, si les jeunes ne retrouvent pas un sens critique après tant d’émotion, le renouveau du catholicisme que proposent les JMJ n’a aucune chance de souffler dans l’Eglise de demain.

Photos: agence Ciric, Chemin des Mouettes 4, cp 405, 1001 Lausanne, tel 021/613 23 83, fax 021/ 613 23 84, ciric@cath.ch §Tous ces jeunes sont avant tout venus pour rencontrer le pape Jean-Paul II?Oui, on l’a bien vu lors de la cérémonie d’ouverture mardi soir sur la Place Saint Pierre, le pape est une super-star, les cris des jeunes tout au long de son passage de Saint-Jean-de-Latran à Saint-Pierre, en disent long: les jeunes sont venus à Rome pour voir le pape! Mais d’un autre côté, en ce qui concerne leur vie quotidienne, des questions de morale très pratiques comme la sexualité, ils ne sont pas très soucieux des enseignements du Saint Père. J’ai l’impression que le monde catholique change, qu’il existe un changement de la base et que ces JMJ sont avant tout une grande manifestation du compromis: le pape est l'objet d'un véritable culte de la personnalité, mais son enseignement n'a quasiment pas d'incidence sur la vie quotidienne des jeunes. Ils disent oui aux rites, la messe, la confession, le passage de la Porte Sainte, mais ils ne gardent de l’enseignement du pape que ce qu’ils peuvent adapter à leur vie de jeunes croyants, vivant à l’heure de la religion recomposée par l’individu.

§Les JMJ, c’est un nouveau catholicisme?Certainement. Pour cette jeune génération, l’influence du pentecôtisme est réelle, c’est à dire la primauté de l’Esprit, de l’autonomie du croyant au-delà des dogmes, du catéchisme et de la hiérarchie catholique. Les jeunes ne sont plus prêts à obéir à l'orthodoxie catholique. L'Eglise devra prendre en compte ce désir d’autonomie des jeunes et leur façon bien à eux, individualiste et libre, de témoigner de l'Evangile. Si ce n’est pas le cas, ce catholicisme induit par les jeunes pourrait devenir une Eglise dans l’Eglise ou alors s’essouffler et mourir.

§Aviez-vous déjà vu quelque chose de semblable?Oui, pendant les années de guerre froide, sous Pie XII, Rome a aussi été le théâtre d’immenses rassemblements de jeunes qui étaient organisés par l’Action catholique italienne. Et à l’époque, ils ont été perçus dans le monde catholique comme une occupation idéale de la ville, comme une victoire du bien sur le mal, le mal étant bien sur le communisme. Mais aujourd’hui, l’image est complètement différente: la jeunesse rassemblée pour ce Grand Jubilé des jeunes est encore moins âgée qu’à l’époque, elle représente une jeunesse catholique très émancipée et solaire. Il est clair que cette fois, tout le monde est là avant tout pour être ensemble, garçons et filles de tous les coins du monde et non pas pour combattre une force malfaisante. Cet immense rassemblement à Rome est avant-tout une fête pour et non pas contre. Le message est positif. C’est aussi à cause de l’espoir que les jeunes mettent dans leur foi et dans l’Eglise que les JMJ sont un succès phénoménal.

§Mais après, quel impact les JMJ peuvent-elles avoir?C’est difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que la jeunesse catholique présente ici à Rome a déjà une vision du monde et un être au monde totalement différents des générations qui la précèdent : avec ces jeunes chrétiens, le monde catholique a déjà changé! C’est un symbolisme radicalement nouveau que proposent les JMJ: nouvelles relations interpersonnelles, nouvelle manière d’être ensemble. L’autre jour sur une place, on assistait à l’un des spectacles des «Incontragiovani», le festival culturel qui a lieu dans les rues de Rome, et j’observais un jeune couple et leurs gestes de tendresse. J’ai pensé alors à la manière dont la foi catholique définit la tendresse, au fait qu’il faut tout contrôler, les gestes, les pensées. Cela n’a plus rien à voir avec la joie et l’exubérance de l’amour de ces jeunes gens qui s’embrassent à tous les coins de rue! Alors à l’inverse, quelle influence vont avoir ces journées d’enthousiasme et de joie collective, toutes débordantes d’une vitalité incroyable, sur la réalité médiocre du monde catholique de tous les jours? Parce que c’est elle que les jeunes vont retrouver en rentrant chez eux, la réalité des diocèses et des paroisses qui sont pour la plupart des lieux morts.

§L’esprit des JMJ est condamné à mourir?Si les jeunes ne retrouvent pas un véritable sens critique après cette avalanche d’émotions, je pense que oui. Pour en revenir au pape, ce véritable "animal médiatique° qu’il est, il ne faut pas oublier que malgré sa grande personnalité, il est complètement lié à la politique de la Curie romaine. Le Vatican n’est pas seulement un lieu d’Esprit Saint, mais un haut lieu de politique! Je vais être polémique mais les moments où Jean-Paul II a pu donner au monde sa véritable «lymphe vitale» ont toujours été des moments où il n’était pas à Rome, c’est-à-dire des moments où il était libre de la Curie romaine et véritablement en contact avec la complexité du monde contemporain.

§Vous mettez le doigt sur les nombreux paradoxes qu’incarne le pape Jean-Paul IILe pape Jean-Paul II et le Vatican en général! Et je doute malheureusement que les jeunes aient suffisamment de sens critique pour se rendre compte de cela. Si Jean-Paul II a établi des relations avec toutes les religions du monde, c’est aussi lui qui a réagi très violemment à la Gay Pride qui envahissait Rome il y a peu. Une parade qui pour lui était tout simplement une insulte au Grand Jubilé et au catholicisme. Alors que va-t-il advenir de ce catholicisme de la joie, de ces jeunes chrétiens qui osent rêver et qui demandent surtout la liberté? Je me permets un autre exemple, il concerne cette fois l’Eglise orthodoxe parce que je crois qu’il existe une forte analogie entre les Eglises orthodoxe et catholique romaine. Ce dimanche 20 août, l’Eglise orthodoxe de Russie canonise le tsar Nicolas II. Ce n’est rien d’autre qu’un compromis politique mais si l’Eglise est la fille du compromis, quelle relation entre cette Eglise et ces jeunes qui crient plein d’espoir "Viva il papa".

§Vous avez l’impression que l’esprit critique est absent de ces JMJ?Même dans les moments de catéchèse et de débat de ces JMJ, l’émotion prédomine. Si ces jeunes ne retrouvent pas un sens critique plus aigu, le renouveau spirituel qu’ils représentent ici, tout comme il s’exprime aussi en Amérique du Sud dans les rangs du Renouveau charismatique, aura beaucoup de peine à garder sa force vive dans l’Eglise de demain.

§Propos recueillis par Nathalie Baud§