L'énigme de Jésus: le point sur la recherche contemporaine
14 août 2000
Que sait-on du Jésus de l'histoire à l'aube du prochain millénaire? Beaucoup de choses et presque rien
De nouvelles méthodologies ont été appelées à la rescousse pour confronter les évangiles aux données de l'histoire. La recherche bouge. Divers courants s'affrontent. Les uns se fondent sur l'exploitation de la littérature apocryphe chrétienne, d'autres sur une approche renouvelée du judaïsme et sur les plus récentes études de la source dite des logia (Q). Cette nouvelle quête est marquée par la redécouverte de la judaïté de Jésus. Le point sur la recherche actuelle avec Daniel Marguerat, professeur du Nouveau Testament à la Faculté de théologie de l'Université de Lausanne.Qui était le Jésus? Pendant longtemps, une réponse a suffi, le credo des Eglises, la croyance en l'infaillibilité des Ecritures ni l'autorité de l'Eglise n'incitaient à trouver d'autres réponses. Puis vint le temps, à la fin du 18ème siècle, où l'esprit humain, fouetté par l'intérêt pour les sciences de l'antiquité, voulut en savoir plus. Historiens et théologiens sont allés à la recherche du vrai Jésus de l'histoire.
§Qui inaugura les premières recherches? Le tout premier à avoir décapé les Evangiles à la recherche du Nazaréen fut Hermann Samuel Reimarus. Son ouvrage, Le dessein de Jésus et de ses disciples, qu'il n'osa pas publier de son vivant, parut en 1778. Des kyrielles de "vies de Jésus" parurent dans la foulée, dont celle, renommée, d'Ernest Renan. Historiens et théologiens firent de Jésus tantôt un prophète de la fin du monde, un rabbi inspiré, un chef des opprimés. Les points de vue, très dissemblables, aboutirent au constat que le personnage que chacun s'évertuait à reconstruire n'était que le fruit des projections du chercheur, ou pour employer les mots de Charles Péguy, que Jésus avait été "livré aux historiens comme il le fut aux Romains". Le constat est clairement fait par Albert Schweitzer en 1906 dans son ouvrage Eine Geschichte der Leben-Jesu-Forschung . Il provoquera un sérieux tant d'arrêt dans la recherche.
§La Seconde Quête, elle aussi, décourage les recherches sur le Jésus de l'histoireUne seconde quête, très critique, démarra avec l'histoire des formes littéraires (Formgeschichte) conduite par Rudolf Bultmann et Martin Dibelius. Elle mit à jour le long processus de façonnement de la tradition de Jésus au sein des premières communautés chrétiennes, ainsi que le travail des rédacteurs des évangiles dans la construction de leur récit. Ces travaux critiques sonnèrent le glas de deux illusions: la fiabilité de chaque récit et de chaque parole tirée de l'Evangile et la prétention à vouloir reconstruire une biographie de Jésus, puisque le scénario évangélique est une construction qui date des années 60 après J.-C. Cela porta un coup dur à la recherche qui fut stoppée pendant un demi-siècle en Europe.
§Où a démarré la troisième quête qui nous intéresse aujourd'hui? Elle nous vient d'outre-Atlantique et date des années 60, mais les retombées ne nous en parviennent que maintenant en Europe.Ce que l'on regroupe sous le label de "Troisième Quête" est en réalité une nébuleuse constituée de plusieurs axes de recherche faits entre 1980 et 1999, dont les résultats se situent aux antipodes les uns des autres. Certains se fondent sur l'exploitation de la littérature apocryphe chrétienne, d'autres sur une approche renouvelée du judaïsme, d'autres encore sur les plus récentes études de la source dite des logia, (source Q), d'autres enfin optent pour une approche en sociologie historique ou en anthropologie culturelle.
§Cette Troisième Quête redécouvre la judaïté de Jésus L'image traditionnelle nous avait habitués à distinguer une sorte d'antagonisme entre Jésus et ses contemporains: d'un côté le judaïsme légaliste, rigide, tortueux, de l'autre Jésus, héros d'une religion du coeur. Cette image a vécu. Nous redécouvrons la judaïté de Jésus. Il n'était pas un prototype de chrétien mais un Juif à 100%. Le dernier des Juifs plutôt que le premier des chrétiens! Pas une pensée en lui qui ne fut juive. La vie et les initiatives de Jésus doivent être replacées en sein d'une société juive où régnaient, autour de la juste interprétation de la Tora, une culture de la différence. Le discours et la pratique de Jésus doivent être réévalués à partir de l'incroyable diversité et de l'immense tolérance face aux divergences d'opinions qui marquaient la société juive à l'époque de Jésus. Sa totale immersion dans le judaïsme de son temps et en même temps son insupportable différence, le rendent inclassable.
Que retenez-vous de ces différentes recherches contemporaines?
Elles mettent en valeur l'irréductible singularité de l'homme de Nazareth, à la parole et aux gestes surprenants, trop subversif pour être capturé par une institution. Un homme en tous cas très éloigné du conformisme sucré et niais dans lequel on a voulu confire Jésus.
§Qui inaugura les premières recherches? Le tout premier à avoir décapé les Evangiles à la recherche du Nazaréen fut Hermann Samuel Reimarus. Son ouvrage, Le dessein de Jésus et de ses disciples, qu'il n'osa pas publier de son vivant, parut en 1778. Des kyrielles de "vies de Jésus" parurent dans la foulée, dont celle, renommée, d'Ernest Renan. Historiens et théologiens firent de Jésus tantôt un prophète de la fin du monde, un rabbi inspiré, un chef des opprimés. Les points de vue, très dissemblables, aboutirent au constat que le personnage que chacun s'évertuait à reconstruire n'était que le fruit des projections du chercheur, ou pour employer les mots de Charles Péguy, que Jésus avait été "livré aux historiens comme il le fut aux Romains". Le constat est clairement fait par Albert Schweitzer en 1906 dans son ouvrage Eine Geschichte der Leben-Jesu-Forschung . Il provoquera un sérieux tant d'arrêt dans la recherche.
§La Seconde Quête, elle aussi, décourage les recherches sur le Jésus de l'histoireUne seconde quête, très critique, démarra avec l'histoire des formes littéraires (Formgeschichte) conduite par Rudolf Bultmann et Martin Dibelius. Elle mit à jour le long processus de façonnement de la tradition de Jésus au sein des premières communautés chrétiennes, ainsi que le travail des rédacteurs des évangiles dans la construction de leur récit. Ces travaux critiques sonnèrent le glas de deux illusions: la fiabilité de chaque récit et de chaque parole tirée de l'Evangile et la prétention à vouloir reconstruire une biographie de Jésus, puisque le scénario évangélique est une construction qui date des années 60 après J.-C. Cela porta un coup dur à la recherche qui fut stoppée pendant un demi-siècle en Europe.
§Où a démarré la troisième quête qui nous intéresse aujourd'hui? Elle nous vient d'outre-Atlantique et date des années 60, mais les retombées ne nous en parviennent que maintenant en Europe.Ce que l'on regroupe sous le label de "Troisième Quête" est en réalité une nébuleuse constituée de plusieurs axes de recherche faits entre 1980 et 1999, dont les résultats se situent aux antipodes les uns des autres. Certains se fondent sur l'exploitation de la littérature apocryphe chrétienne, d'autres sur une approche renouvelée du judaïsme, d'autres encore sur les plus récentes études de la source dite des logia, (source Q), d'autres enfin optent pour une approche en sociologie historique ou en anthropologie culturelle.
§Cette Troisième Quête redécouvre la judaïté de Jésus L'image traditionnelle nous avait habitués à distinguer une sorte d'antagonisme entre Jésus et ses contemporains: d'un côté le judaïsme légaliste, rigide, tortueux, de l'autre Jésus, héros d'une religion du coeur. Cette image a vécu. Nous redécouvrons la judaïté de Jésus. Il n'était pas un prototype de chrétien mais un Juif à 100%. Le dernier des Juifs plutôt que le premier des chrétiens! Pas une pensée en lui qui ne fut juive. La vie et les initiatives de Jésus doivent être replacées en sein d'une société juive où régnaient, autour de la juste interprétation de la Tora, une culture de la différence. Le discours et la pratique de Jésus doivent être réévalués à partir de l'incroyable diversité et de l'immense tolérance face aux divergences d'opinions qui marquaient la société juive à l'époque de Jésus. Sa totale immersion dans le judaïsme de son temps et en même temps son insupportable différence, le rendent inclassable.
Que retenez-vous de ces différentes recherches contemporaines?
Elles mettent en valeur l'irréductible singularité de l'homme de Nazareth, à la parole et aux gestes surprenants, trop subversif pour être capturé par une institution. Un homme en tous cas très éloigné du conformisme sucré et niais dans lequel on a voulu confire Jésus.