Mobbing: un pasteur bernois tire la sonnette d'alarme

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Mobbing: un pasteur bernois tire la sonnette d'alarme

1 mai 2000
Dans les cantons de Berne et du Jura, un pasteur sur deux serait victime de violences
C’est ce que révélait en mars une étude commandée par le syndicat des pasteurs de l’Union synodale Berne-Jura. Insultes ou menaces, attaques contre la personne du pasteur ou ses proches à cause de ses idées, l’étude faisait même état de plusieurs cas de harcèlement psychologique. Témoignage de l'un d'entre eux, devenu pasteur régional dans l'Oberland bernois.L’analyse des réponses révèle d’ailleurs que la plupart des menaces et des violences viennent de l’intérieur de l’institution Eglise. Comment imaginer que des paroissiens pratiquants ou non, des Conseils de Paroisse ou même des collègues exercent des pressions telles que le pasteur soit obligé de quitter son poste ?

Le pasteur Rudolf Zimmermann a lui-même été victime de mobbing. Pasteur dans l’Eglise réformée bernoise depuis plus de trente ans, il assume aujourd’hui le poste de pasteur régional pour l’Oberland bernois, ce qui signifie qu’il accompagne les pasteurs de tout l’Oberland dans leur travail. Son expérience l’amène à tirer la sonnette d’alarme. Pour lui, les cas de mobbing sont le signe d’un profond disfonctionnement au sein de l’Eglise. Interview.

§Rudolf Zimmermann, expliquez-nous comment la situation s’est détériorée entre vous et votre paroisse ?« Dans les années 70, j’ai été appelé par une paroisse qui cherchait un pasteur pour travailler avec les jeunes. Si je vous parle de cette situation, qui remonte à près de trente ans, ce n’est pas un hasard. Cela signifie qu’il est excessivement difficile de parler de ces situations, parce que l’on prend de gros risques à le faire. A l’époque, la tendance était à une théologie progressiste et un travail résolument orienté sur la jeunesse. Et c’est vrai que je suis un adepte de cette théologie progressiste, sociale, plutôt de gauche et centrée sur l’exemple du Christ. On me fit tout d’abord pleinement confiance et j’ai pu mettre beaucoup de choses en place. Mais le paysage politique a brusquement changé avec un retour à un libéralisme plutôt conservateur et, du point de vue de l’Eglise, à un certain piétisme voire un certain fondamentalisme. L’Eglise se recentrait sur elle-même et sur une lecture fondamentaliste de la Bible. Vous pensez bien qu’alors, avec ma théologie et mon travail résolument ouvert sur le monde, je n’étais plus vraiment en odeur de sainteté !

§Malgré cela, vous avez persévéré dans vos idées ?Le conseil de paroisse a cherché à me remettre à l’ordre, me suggérant d’en revenir à un travail beaucoup plus traditionnel avec les jeunes. C’est là que j’ai commis ma première erreur : du moment que je sentais mon travail menacé, un travail dont je savais par ailleurs qu’il était très apprécié, je ne suis pas entré en matière. J’ai refusé d’entrer en conflit. Résultat : je fus l’objet de toutes sortes de contrôles. A chaque heure de catéchisme, la présidente du Conseil de paroisse était là, estimant qu’elle se devait d’évaluer ma manière de faire... Et dans mon travail avec les jeunes, c’est sans arrêt que là aussi j’étais contrôlé, mais cette fois, par mes collègues. Malgré cela, j’ai continué dans cette voie parce que j’avais moi aussi un bon « lobby » ! C’étaient les jeunes: mes cours de catéchisme étaient pleins à craquer ! Les parents eux aussi me soutenaient, mais c’était des gens simples, ce n’est pas eux qui détenaient le pouvoir, les compétences et les finances. Comme on n’avait rien à me reprocher sur le plan professionnel, on s’en est pris à ma vie privée. Je fume, je bois volontiers un verre de vin ou une bière, alors on a fait de moi un toxico-dépendant. Enfin, on en est même arrivé à m’accuser d’être trop proche des jeunes filles que j’avais au catéchisme. Ce qui, deux ou trois ans plus tôt, était parfaitement normal devenait tout à coup du harcèlement sexuel.

§Comment a-t-on pu en arriver là ?Ma théologie, parce qu’elle était politique, mes critiques à l’égard de la société et ma manière de rencontrer des gens en dehors de l’Eglise sans forcément chercher à les y ramener, tout cela a fait de moi quelqu’un d’indésirable. Pour certaines personnes, c’était aussi une menace pour leur éthique, leur politique, leur manière de vivre et de penser. C’était ça le fond du problème en fait, mais cela n’est jamais apparu comme tel.

§Vous avez donc décidé de partir ?Oui, malgré mes amis, les gens qui me soutenaient mais qui n’avaient pas voix au chapitre, j’ai démissionné. Mais avant cela, ma famille et moi nous avons encore subi tout un lot de menaces: notre poney a été tué parce que soit disant nous nous en occupions mal. J’ai aussi reçu des téléphones anonymes où on me disait : « Tu as intérêt à partir, sinon il va t’arriver des bricoles… ». C’est le niveau le plus bas de ces attaques, mais je dois en parler parce que dans la plupart des cas mobbing, les choses vont jusque-là.

§On rencontre des cas de mobbing partout, les pressions que vous avez subies dans l’Eglise ont-elles quelque chose de particulier?Peut-être oui. Tout d’abord parce que là plus qu’ailleurs, il s’agit avant tout d’idéologie. Ensuite, parce que dans l’Eglise, on retrouve l’ensemble de la société dans toute sa diversité. Enfin, c’est un milieu dans lequel on a très souvent la conviction qu’il faut d’abord être gentil les uns avec les autres. Et parce qu’on veut être gentil, on refuse d’entrer en conflit et on en arrive au mobbing. Ce qui importe c’est que les apparences soient sauves.

§Votre cas n’est-il pas tout de même extrême?Je suis actuellement superviseur, cela signifie que j’accompagne des pasteurs dans leur travail. Et dans ma pratique, je rencontre sans cesse des cas de mobbing. Je connais des collègues qui ont déjà changé de place ou qui cherchent à le faire parce que précisément ils s’estiment "mobbés". Non, mon cas n’est ni unique, ni particulier. Les questions idéologiques sont tellement présentes dans notre métier : vous risquez toujours de déplaire, d’être soit trop pieux, soit trop engagé politiquement. Tant qu’un pasteur est gentil avec tout le monde, tout va bien. Mais dès le moment où il ose prendre une position, les choses peuvent très rapidement dégénérer.

Je vais même plus loin : pour moi le mobbing est typiquement la manière qu’utilise l’Eglise pour se débarrasser de gens dont elle ne veut plus. Malheureusement, le cas de Toni Calmonte, pasteur menacé de mort dans sa paroisse de Thierachern près de Thoune, notamment pour ses opinions politiques, n’est pas un cas exceptionnel ».