Yves Bourquin: «Toujours privilégier la joie»

Yves Bourquin, président de l'EREN / ©Pierre Bohrer
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Yves Bourquin, président de l'EREN
©Pierre Bohrer

Yves Bourquin: «Toujours privilégier la joie»

Regard
Venu à l’Evangile par le sanskrit, le président de l’Eglise neuchâteloise pratique une théologie de la rencontre et de la joie.

Faire la connaissance d’Yves Bourquin, c’est plonger dans un maelstrom verbal, qui entraîne vers… le haut. Flot de joie christique, lucide, qui ne nie pas le mal, mais ne s’y abîme pas. Ne pas confondre avec le bonheur, «lecture nostalgique d’un passé qu’on magnifie». Le bonheur n’est donc pas l’instant que l’on savoure? Non, «cet instant est justement la joie, joie de vie incommensurable. La joie est un regard sur une situation, depuis au-dessus.» Et Yves Bourquin de griffonner le diagramme des quatre émotions (voir l’encadré). La clef, c’est la joie, qu’il privilégie consciemment, s’interdisant la colère. Et si elle jaillit malgré tout? «Elle se transforme en sa voisine la tristesse, elle-même étrangement en lien avec la compassion.» Matière à réflexion…

Rapide, intense, le volontariste enchaîne sur le baptême, situation emblématiquement quadruple. A la fois mort à l’existence purement charnelle (colère), peur de manquer de souffle, tristesse de ce monde de péché où le manque d’amour nous empêche de faire tout le bien que nous aimerions. Et, par-dessus tout, joie absolue de la renaissance dans la présence de l’Esprit saint. Le baptême n’a rien d’une simple fête, c’est la «cristallisation d’une existence qui se dépasse». Pas étonnant qu’Yves Bourquin ait tenu à vivre dans l’intimité de la communauté son baptême à 28 ans, pour devenir pasteur. Idem pour sa consécration: «Trop de questions, si complexes qu’on ne peut pas dire simplement: c’est le bonheur. Mais de la joie, oui, il y en a beaucoup!»

A ne jamais confondre avec la gaieté, qu’il connaît bien: il parle avec naturel de sa période de «monstrueux foireur». Qui ne se doutait pas de ce qui l’attendait; il cite le songe de Jacob: «Tu étais là, Seigneur, mais je ne le savais pas.»

La joie est un regard sur une situation, depuis au-dessus

Pasteur? Il coche toutes les cases

Car Yves Bourquin fut d’abord un indianiste passionné, perçant les secrets des textes sanskrits les plus difficiles; suite logique: une thèse à Göttingen (Allemagne). Non, il serait… pasteur. Ne cochait-il pas toutes les cases des compétences métier nécessaires? Y compris, souligne-t-il avec malice, le goût de l’événementiel et le talent d’organisation.

Soutenu par son épouse, en quatre mois il étudia en grec et en hébreu pour réussir, brillamment, l’examen d’entrée en Faculté de théologie. Rétrospectivement, il comprend que, même en boîte, le foireur était déjà branché sur les questions existentielles, les profondeurs cachées des êtres. «Pour me connaître moi-même», ajoute-t-il, lucide, «mais combien de personnes en pleurs n’ai-je pas prises dans mes bras durant ces soirées?»

Mais… et la foi? «T’inquiète, j’en fais mon affaire», rétorquait-il, sûr de «trouver un coin de soi-même qui n’aurait pas de problème avec cela». Yves Bourquin savoure-t-il secrètement le caractère provocateur de ses réponses? Il aime titiller, ouvrir des pistes inédites, se réfère à l’orientalisme, à la psychologie des profondeurs de Jung (révélation d’adolescence) avant de revenir à l’Evangile et à l’Ancien Testament, se régale d’inextricables paradoxes: «C’est ma passion.» Dans les deux sens du terme.

L’ami catholique

Car la souffrance ne lui est pas épargnée. Mais il n’en dit rien et raconte avec enthousiasme les camps de jeunes, montre l’album qu’il a reçu en quittant la paroisse du Joran, profusion de photos de mises en scène, de costumes, décors, témoignages d’affection reconnaissante de dizaines de participants. Se dégage de ces feuillets la même impression d’énergie et de créativité débordante que charrie le torrent de son récit. L’érudit et le foireur s’entendent parfaitement pour animer le pasteur. Happé par son engagement au Synode, dans plusieurs groupes de travail, au bureau du Synode, au Conseil synodal, il passe de la paroisse à l’Eglise neuchâteloise tout entière, qu’il préside depuis 2021.

Songeant à son frère Gilles, pasteur lui aussi, on imagine un terreau familial prescripteur. Erreur! Yves Bourquin décrit un père ingénieur admiré pour ses talents multiples, un milieu aimant et stimulant, fortement humaniste, mais peu préoccupé de protestantisme et soucieux d’abord de l’autonomie des quatre enfants. Ce ne sont pas les débats, animés, à table qui l’ont familiarisé avec les questions de foi, mais la fréquentation de la famille catholique de Gabriel de Weck, son «frère de cœur – rencontre marquante à 3 ans et demi, au jardin d’enfants».

Ainsi roule la conversation du président, de réminiscence en démonstration, dans la fièvre oratoire d’un esprit bouillant. «Un cerveau en étoile», dit-il, qu’il retrouve chez ses filles – le grand amour de sa vie. 

Bio express

1979 Naissance à Neuchâtel.

2005 1ère licence, langues orientales et sciences des religions, UNIL.

2008 Master de théologie, Neuchâtel. Baptême, dans l’intimité.

2009 Naissance des jumelles Alizée et Ambre.

2009 Suffragance à La Chaux-de-Fonds et à La Margelle, lieu d’écoute à Neuchâtel.

2010 Consécration. Stage à la paroisse du Joran.

2010 Pasteur à la paroisse du Joran.

2015 Président du Synode. 2017 Rédige le vade-mecum « Passons en mode évangélisation».

2021 Président du Conseil synodal. Quitte la paroisse du Joran et s’installe à Neuchâtel.

La joie, clef du regard

«Un événement est toujours neutre en soi, c’est la manière dont on le regarde qui lui donne son histoire. Le Créateur pour cela nous donne quatre clefs émotionnelles, chacune est un regard anglé différemment. Des profondeurs, la tristesse voit d’en dessous. De tout près, de trop près, c’est le regard de la peur. De côté, en décalage et avec révolte, jaillit la colère. Et puis, au-dessus, la joie s’émerveille. Ce léger surplomb lui donne la netteté de la distance. Toute expérience contient les quatre – je m’efforce juste de privilégier la joie. »