Le Texas est-il trop religieux pour être touché par une «punition divine»?

© Keystone / AP / Charlie Riedel
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© Keystone / AP / Charlie Riedel

Le Texas est-il trop religieux pour être touché par une «punition divine»?

5 septembre 2017
Si un ouragan s’abat sur La Nouvelle-Orléans ou si un tremblement de terre touche San Francisco, il se trouvera toujours des chrétiens conservateurs pour y voir le signe d’une punition divine. Mais quand l'ouragan Harvey touche le très religieux Texas, les donneurs de leçons appellent à une lecture précautionneuse des événements. Un changement de posture durable ou de circonstance? (Auteur Kimberly Winston / Traduction Joël Burri)

Quand l’ouragan Sandy a atteint la région métropolitaine de New York en 2012, il n’a pas fallu attendre que les crues atteignent leur plus haut niveau à Manhattan pour que certains pasteurs dénoncent ce qui leur paraissait être une évidence: «Dieu détruit l’Amérique de façon systématique.» C’est ce qu’avait écrit sur son blog, le révérend John McTernan, un chrétien conservateur à la tête d’un ministère appelé «USA Prophecy». 

John McTernan appartient à cette catégorie de conservateurs religieux qui lisent dans les catastrophes naturelles un signe de colère divine. La logique tourne souvent autour de la question des droits accordés aux personnes LGBT. En 2012 encore, Buster Wilson du mouvement "American Family" a par exemple déclaré que Dieu avait envoyé l'ouragan Isaac pour empêcher un festival LGBT. Le révérend Franklin Graham avait tenu les «orgies» de La Nouvelle-Orléans pour responsable de l’ouragan Katrina et le prêtre catholique Gerhard Wagner avait qualifié la même tempête de «rétribution divine» pour la tolérance de la ville envers l’homosexualité. Lors de précédentes catastrophes, le mariage gay, le droit à l’avortement ou la politique étrangère jugée hostile à Israël étaient désignés comme la source de châtiments divins prenant la forme de tempêtes ou d'ouragans. 

Pourtant, alors que l'ouragan Harvey - aujourd’hui revenu au niveau de tempête tropicale - continue d’inonder Houston, ceux qui voyaient des signes de colère divine dans les déchaînements climatiques précédents se contentent de féliciter les services d’urgences et le travail des citoyens bénévoles de Houston. «La "Marine cadienne" est à nouveau à pied d’œuvre», a partagé Franklin Graham sur Facebook, faisant référence à un groupe de plaisanciers de Louisiane participant aux secours. «Ils sont là dehors avec leurs bateaux, afin d'aider les personnes touchées par Harvey. Je remercie Dieu pour ces personnes qui viennent en aide aux autres. De véritables bons samaritains.» James Dobson, le fondateur de "Focus on the family", qui avait désigné l’acceptation du mariage gay et de l’avortement comme responsable de la fusillade à l’école Sandy Hook en 2012, a pour sa part loué les «efforts héroïques du personnel urgentiste et de la Garde nationale qui travaillent pour sauver les personnes touchées par l’inondation.»

Les groupes religieux s’activent

La vaste majorité des responsables et groupes religieux de toutes sortes répondent aux catastrophes naturelles avec des prières et des encouragements. Les reporters sur les zones inondées racontent comment les églises s’ouvrent pour servir de refuges et comment les pasteurs viennent en aide aux personnes sinistrées. Chrétiens, musulmans, juifs: tous participent à l’effort mis en place au Texas.

L’idée d’un Dieu vengeur n’a rien de nouveau. Elle est arrivée avec les puritains et a été ancrée aux Etats-Unis par un sermon en 1741 prononcé par le révérend Jonathan Edwards intitulé «les pécheurs dans la main de Dieu». Mais cette idée n’est en rien limitée au christianisme. Des imams égyptiens ont déclaré que l'ouragan Sandy était une punition divine suite à la diffusion d'un film anti-islamique et au moins un rabbin a déclaré que Katrina était la réponse de Dieu au fait que les Etats-Unis soutenait le retrait israélien de Gaza.

Bref, les chrétiens conservateurs ont souvent blâmé le comportement des Etats-Unis qu'ils jugent responsables de certaines catastrophes, mais ils ont complètement retournés leur veste lors des derniers évènements: «Si nous vivions aux temps bibliques, nous aurions sans hésitation reconnu un ouragan comme un signe du jugement divin. Nous nous serions repentis de nos péchés et aurions imploré le pardon de Dieu», écrit Michael Brown, un télévangéliste membre du comité consultatif évangélique du président Trump, deux jours après que Harvey a touché la côte texane. «Nous devons être prudents avant de faire des liens entre Dieu et les catastrophes naturelles, comme s’il y avait des réponses divines spécifiques à certaines catégories de péchés.»

Pour Stephen T. Davis, professeur de philosophie au collège Claremont McKenna, rappelle que la notion de punition divine ne «prend que très peu» en dehors des cercles conservateurs religieux: «L’explication selon laquelle Dieu souhaite punir Houston apparaît comme ridicule pour le monde séculier.» 

Le religieux Texas

Il faut dire que le Texas est un bastion conservateur. Le gouverneur Greg Abbott est très populaire au sein des milieux conservateurs chrétiens. Il soutient d'ailleurs une réglementation plus stricte de l’accès à l’avortement et il a signé «l’acte de protection des pasteurs», une loi qui permet aux ministres du culte de refuser des célébrer des mariages pour des couples de même sexe. On comprend alors mieux les réticences de certains à affirmer que Harvey est une manifestation de colère divine à l'encontre du Texas...

En 2015, les citoyens de Houston ont largement refusé une loi contre la discrimination envers les personnes transgenres dans les toilettes publiques avec le soutien de nombreux groupes chrétiens. Ils avaient alors un slogan simple: «Pas d’hommes dans les toilettes des femmes». «On comprend qu'il est difficile d'argumenter dans le sens de l'expression d'une colère divine, que Dieu aurait voulu punir Houston, explique Peter Montgomery, juriste et spécialiste de droit religieux à l'institut Marican Way. Mais si Harvey avait touché La Nouvelle-Orléans, de nombreuses personnes auraient pointé la décadence de la ville. Tout comme si un tremblement de terre touchait San Francisco, il se trouverait des gens qui déclareraient que c’est à cause de l’homosexualité.» Michael Brown l’a bien noté dans son appel à prendre des précautions. «Houston est l’une des rares villes qui s’est courageusement interposée à la montée de l’activisme LGBT, pourquoi Dieu voudrait-il isoler cette cité dans son jugement?»

Le Texas, traditionnellement républicain, a voté pour l’actuel président des Etats-Unis. «Les conservateurs chrétiens pensent que l’élection de Donald Trump est une de leurs grandes réussites et que cela a remis le pays sur la voie de la grâce divine», analyse Peter Montgomery. «Si Obama était toujours président, probablement que Harvey serait considéré comme une punition justifiée pour l’avoir élu.» James Dobson semble d’ailleurs y faire allusion dans sa prise de position sur Harvey: «Ma prière est que nous ne politisions pas cette crise. Cela n’aiderait aucunement ceux qui souffrent. L’unité est notre plus grande force lorsque nous affrontons des épreuves. Alors, soyons unis pour soutenir et aider le peuple texan.»