Turquie: à Diyarbakır, une église arménienne comme marqueur de l’histoire

Turquie: à Diyarbakır, une église arménienne comme marqueur de l’histoire / © Mathilde Warda
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Turquie: à Diyarbakır, une église arménienne comme marqueur de l’histoire
© Mathilde Warda

Turquie: à Diyarbakır, une église arménienne comme marqueur de l’histoire

Mathilde Warda
23 avril 2024
Reportage
Dans le sud-est de la Turquie, l’église Surp Giragos porte l’histoire des Arméniens et de la ville de Diyarbakır.

L’église a l’air flambant neuve, avec ses murs sombres en basalte, roches issues du volcan Karaca Dağ, à une centaine de kilomètres au sud. Quelques touristes viennent prendre des photos à l’intérieur, où résonnent des chants religieux. Depuis quelques mois, Udi Yervant, chanteur à la retraite, guide les touristes. «C’est comme un pèlerinage pour les Arméniens, décrit-il, c’est un endroit très précieux et important.»

L’église apostolique arménienne Surp Giragos, construite en 1376, est nichée dans le centre historique de Diyarbakır, au sud-est de la Turquie, aujourd’hui majoritairement habité par des Kurdes. L’enchaînement de constructions et de reconstructions qu’elle a subi raconte une partie de l’histoire douloureuse des Arméniens en Turquie.

«Les Arméniens ont toujours existé à Diyarbakır, depuis au moins deux mille à trois mille ans. Par exemple, avant le génocide arménien en 1915, il y avait treize églises arméniennes», explique Hovhannes Gafur Ohanyan, vice-président de la Fondation chargée de l’église. La ville comptait alors environ 60'000 Arméniens. A partir du 24 avril 1915, jusqu’à 1,5 million d’Arméniens de ce qui est alors l’Empire ottoman sont arrêtés, déportés et exécutés. Un génocide non reconnu par le gouvernement turc. Selon Hovhannes, il y aurait actuellement environ 80'000 Arméniens chrétiens en Turquie.

Après 1915, cette église est utilisée comme base par des soldats allemands puis comme entrepôt avant d’être rendue à la communauté en 1959. Mais leur utilisation de l’église ne durera que jusqu’au début des années 1990, lorsque le toit s’effondre. Grâce à une importante levée de fonds auprès de la communauté arménienne à l’international et à l’effort collectif de la Fondation Surp Giragos et de la municipalité de Diyarbakır, l’église est reconstruite et inaugurée en 2011. Le projet remporte le Prix du patrimoine culturel de l’Union européenne, pour les efforts de restauration qui «constituent un acte de réconciliation remarquable pour la ville et ses citoyens».

Entre 2015 et 2016, l’église se retrouve au milieu d’affrontements entre l’armée turque et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation considérée comme terroriste par la Turquie et l’Union européenne. L’église subit de graves dommages et le quartier de Gâvur «infidèle» est détruit.

Dans la foulée, l’Etat exproprie une grande partie du centre historique de Diyarbakır, y compris l’église Surp Giragos, mais la Fondation lance des poursuites judiciaires et gagne le procès. Malgré tout, l’Etat finance les travaux de reconstruction de l’église, inaugurée une nouvelle fois en 2022. La communauté arménienne à Diyarbakır compte aujourd’hui 55 à 60 personnes et en l’absence d’un ecclésiastique sur place, les messes n’ont pas lieu tous les dimanches, mais sont organisées lors d’occasions particulières. Lors de l’inauguration de l’église en 2011, il y avait l’espoir de voir des Arméniens venir se réinstaller dans la ville. «Mais cela n’a pas été le cas», constate Hovhannes. «C’est une chose d’être déraciné d’un endroit, d’avoir le mal du pays, mais c’en est une autre d’aller y vivre concrètement», souligne le vice-président de la Fondation.

Malgré tout, l’église joue un rôle central pour la communauté arménienne. «Toutes les activités de la famille y sont célébrées, commente-t-il, les baptêmes des enfants, les fiançailles, les mariages, les funérailles. C’est aussi un lieu de socialisation.» Alors Hovhannes se dit heureux de voir une telle église dans cette ville. «Bien qu’il ne reste presque plus rien d’une population aussi grande, l’existence de cette église est encore plus symbolique», résume-t-il.