Les débuts de la Réforme, un «monde en gestation»

Michel Septfontaine chez lui à Froideville. / © Sophie Brasey
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Michel Septfontaine chez lui à Froideville.
© Sophie Brasey

Les débuts de la Réforme, un «monde en gestation»

Histoire
Paléontologue à la retraite, Michel Septfontaine est passionné d’histoire. Lorsqu’il découvre le récit méconnu d’une colonie huguenote au Brésil, il décide d’en faire un roman. Une trilogie même. Le premier tome se déroule à Genève.

Genève, 1534. Pour fuir un climat de répression dans le royaume de France, envers ceux qu’on appelle alors les luthériens, le chevalier de Servion s’exile avec ses proches dans la cité tout juste convertie à la Réforme. Recommandé auprès d’un imprimeur réputé, il assiste, impuissant, aux excès des ministres du culte nouveau: brimades et vexations contre les catholiques, règles toujours plus rigides en matière de mœurs. Farel puis Calvin exercent une emprise croissante sur la population et les responsables politiques... Dans ce contexte perturbé, le voilà chargé par la France d’une mission d’information politico-religieuse. La fresque historique de Michel Septfontaine tient en haleine. Elle rappelle, par moments, l’excellent Zwingli (film de Stefan Haupt, 2017): derrière les aspirations et habitudes du quotidien affleurent les enjeux philosophiques et théologiques. Plonger dans cette époque troublée à hauteur d’homme permet de mieux en saisir l’infinie complexité: le catholicisme est en disgrâce, la Réforme s’installe avec soudaineté, ouvrant des situations imprévues. Que devient le statut de la famille et du mariage? Quelle menace représente une personne qui n’adhère pas au nouveau dogme? Quelles punitions pour les blasphémateurs? Des thèmes incarnés par des personnages nuancés, drôles, au langage riche et truculent – le texte est truffé d’expressions pittoresques, sans être caricatural.

Scientifique à la retraite, protestant «culturel» s’affichant athée, Michel Septfontaine en est à son dixième roman. Une brillante saga historique de Robert Merle (1908–2004), écrite dans la langue de Rabelais, lui a donné envie d’écrire à son tour sur la Réforme, moment marqué par des bouleversements de pensée majeurs et les prémices balbutiantes de ce qui sera la base de nos sociétés modernes, comme la liberté de conscience ou d’expression...

L’une des raisons qui rendent votre roman haletant et vivant, c’est son langage. Comment retrouver et manier des mots vieux de cinq siècles?

Ma bibliothèque est remplie d’œuvres du XVIe siècle, des textes de Calvin, dont les plus polémiques. Son français est remarquable, c’était un grand écrivain, juriste de formation. J’ai aussi utilisé beaucoup de glossaires, et lu une série d’auteurs de l’époque – dont Marguerite de Navarre. Pour écrire, je veille à choisir des termes encore actuels, ou des expressions intelligibles même si l’on ne les utilise plus, ou qui ont changé de sens («jouer du plat de la langue» pour dire «parler bien»; «paillarder» pour dire «faire l’amour quand c’est interdit»). J’écris d’abord les dialogues en français moderne, puis je les transforme. Certains mots sont délicats: commun à l’époque, «garce» signifie «belle fille»; il n’a pas la connotation péjorative d’aujourd’hui. Et les «libertins» contre qui se battait Calvin sont des libres-penseurs.

Au-delà des mots, on sent une véracité historique dans les comportements décrits...

C’est le problème de l’écrivain: se placer, sans anachronismes, dans l’esprit de ses personnages et dans l’ambiance de ce temps. J’ai consulté des gravures, lu énormément, dont un ouvrage de René Guerdan sur la vie quotidienne ainsi qu’un titre historique magistral d’Amédée Roget. Il faut aussi un peu de bon sens et d’imagination pour décrire des situations courantes, comme les déplacements à cheval, ou les environs de Genève, en fonction des informations disponibles. La plupart des événements sont fondés historiquement ou réels, tirés des Registres du Petit Conseil. Les personnages des syndics d’alors et de l’entourage de Calvin ont existé, dont Ami Perrin, devenu ensuite l’ennemi du réformateur.

Le livre est le premier tome d’une saga contant l’établissement d’une colonie huguenote au Brésil, en 1555, par Henri II et Coligny, pourquoi?

Mon but est de raconter l’histoire de cette première colonie réformée au Brésil, après la mort de Michel Servet, brûlé vif à Champel, en 1553, objet du deuxième tome. Le troisième reviendra sur la colonie à proprement parler, une histoire incroyable: en 1557, des Européens se massacrent entre eux, puis fuient avec les indigènes, partageant leur quotidien... Jean de Léry s’intéresse à eux, à leur langue, alors qu’à l’époque on les voit comme des êtres dépourvus d’âme. Son ouvrage (Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, 1578) est redécouvert par Claude Levi-Strauss, qui y a vu les débuts de l’anthropologie. Un livre (Rouge Brésil, Jean-Christophe Rufin, prix Goncourt 2001), puis un film (Rouge Brésil, Sylvain Archambault, 2013) reviennent sur cette histoire, de manière un peu romantique.

Les esprits éclairés sont critiques face au calvinisme

Pourquoi avoir approfondi les prémices de cette aventure?

J’ai voulu comprendre, au-delà des clichés, comment s’est construite et a été reçue l’Eglise réformée à travers les commentaires du peuple. Au fil des recherches, le texte s’est étoffé. Il est important de comprendre combien, après la mort de Michel Servet, les esprits éclairés sont critiques face au calvinisme – mais pas contre la Réforme. Calvin lutte pour écarter ces esprits, et c’est Henri II qui initie ce projet de colonie, pour écarter les «évangéliques» de son territoire. La tension grandit, mais une forme d’accommodement paraît encore possible: François Ier pouvait prétendre à une forme de tolérance par moments, ou plus tard les Médicis, avant les guerres de religion.

Une impression générale transparaît: l’incertitude et l’injustice au quotidien...

Le livre raconte un monde en gestation, entre le Moyen Age et les Lumières, représenté par quelques personnages, en disgrâce ou morts pour avoir défendu les racines de la liberté et de ce qu’on appelle aujourd’hui les droits humains. Le passage d’un monde à un autre se fait dans la douleur, comme toute transition. Le peuple de Genève s’est séparé de l’emprise des moines pour passer sous celle des prédicants. Mais beaucoup de règles issues du catholicisme sont en fait reprises par Calvin, qui était un fin stratège, dénué de cœur et de morale: c’est une lutte politique qui a permis au calvinisme d’exister.

À lire

Michel Septfontaine, Le Souffle des prédicants – Contraindre les consciences, Edilivre, 2023. Ouvrage disponible en ligne, sur le site de l'éditeur, par exemple.

Le souffle des prédicants

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