Celui qui s’ôte la vie rend impossibles tous les possibles

Gottfried Locher © sekfeps/Christian Altorfer
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Gottfried Locher © sekfeps/Christian Altorfer

Celui qui s’ôte la vie rend impossibles tous les possibles

ref.ch/Protestinfo
30 août 2017
Gottfried Locher, président du conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse a accordé une interview à Ref.ch sur un sujet délicat: l’euthanasie et le suicide assisté.

Gottfried Locher, êtes-vous membre d’une organisation d’aide aux mourants?

Oui, je suis membre de l’Eglise. C’est la plus grosse et la plus éprouvée des organisations d’aide aux mourants. Au fait, elle prodigue aussi une aide aux vivants.

Les Eglises catholique et libres rejettent l’aide au suicide que proposent des organisations comme Exit ou Dignitas. Quelle est la position du conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS)?

Elle se trouve sur le site de la FEPS: «Vivre la mort, un regard protestant sur les décisions en fin de vie». Ici, je ne peux que vous dire ce que je pense personnellement: l’euthanasie doit être possible. L’euthanasie qui désigne des activités médicales, telles que la renonciation à des mesures qui visent à prolonger inutilement la vie au dernier stade d’une maladie. L’euthanasie est une aide pour les mourants.

L’aide au suicide est une autre chose. L’aide au suicide ne concerne pas seulement les mourants, mais tous ceux qui le veulent. Le suicide assisté se propose de répondre à tous les désirs de mort, quel que soit l’état de santé. Le suicide assisté et une euthanasie alors que la vie n’est pas déjà menacée. Il existe des raisons pour l’admettre, et des raisons là-contre. 

Il est frappant de constater qu’il y a aussi des théologiens parmi ceux qui s’associent aux organisations d’aide au suicide. Une contradiction?

Non, nous en tant qu’aumôniers, nous sommes là pour venir en aide aux gens dans la vie et dans la mort. Chacune et chacun doit décider pour soi à quoi cette assistance doit ressembler concrètement. Les hommes et les femmes qui ont charge d’aumônerie ne sont pas les marionnettes d’une (prétendue) morale d’Eglise. Mais pour moi personnellement, il n’est pas question d’être membre d’organisation d’euthanasie comme Exit ou Dignitas. Je comprends différemment la théologie chrétienne. Je ne voudrais en aucun cas donner un message qui irait dans le sens de gens malades ou âgés, qui auraient le sentiment que leur mort ne serait pas une perte pour la société, mais un soulagement. Il n’y a pas que la vie vécue en santé et de manière autonome qui mérite d’être vécue. Je ne connais aucun critère chrétien qui permette de dire qu’une vie serait «indigne»

Si je veux un café, je peux décider par moi-même. Si je veux me tuer, je peux aussi en décider moi-même. Est-ce que ce genre d’analogie est pertinente?

Oui, dans les deux cas il s’agit d’une décision «par soi-même». Mais l’analogie s’arrête là. Le fait que je me tue a peu de choses à voir avec la liberté. La volonté libre n’est souvent pas au rendez-vous. «Mort libre» est un euphémisme des plus pervers que je connaisse. Je ne me donne pas la mort parce que je suis libre, mais parce que j’ai peur de quelque chose d’encore pire.

A qui appartient ma vie?

Je ne sais pas. A moi? Dans ce cas, je devrais pouvoir la garder, mais je ne peux pas. A Dieu? Dans ce cas, il ne m’en a pas fait cadeau, mais me l’a seulement prêtée. La vie n’est pas une chose que l’on peut posséder. La vie est plutôt une condition temporaire. Les deux parties, Dieu et moi, pouvons y mettre fin du jour au lendemain. Il n’y a tout simplement pas de droits acquis lorsque l’on parle de vie.

D’un point de vue réformé, la vie est-elle ce qu’il y a de plus précieux? Existe-t-il quelque chose de plus précieux encore?

La vie n’est pas ce qu’il y a de plus précieux. Sur la pierre tombale de ma grand-mère, figure «Ta fidélité vaut mieux que la vie». Ainsi parle le Psalmiste, et cela me convient. Toutefois, cela ne s’applique que pour moi-même. La vie des autres est très probablement le plus grand bien. Je dois la protéger. 

Le meurtre est condamnable. Qu’en est-il du suicide, le meurtre de soi-même?

En allemand le mot le plus courant pour désigner le suicide est clair «Selbst-Mord» meurtre de soi-même. Donc si on appelle un chat un chat, la réponse est oui le suicide est un cas particulier du meurtre. Mais on tend à remplacer ce mot par un vocabulaire moralement moins chargé. Ce n’est pas à moi de juger de la moralité d’autres personnes. Surtout quand elles trainent un lourd destin derrière elle.

Est-ce que l’on peut se suicider?

On en a le droit, mais on ne devrait pas. «Avoir le droit» concerne la loi, et moi je ne crois pas en une religion légaliste. «Devrait» concerne l’éthique, le bien et le mal. Il est presque toujours mal de prendre la vie. C’est une erreur, car le suicide met fin à une vie digne d’être vécue. Le suicide a des répercussions sur ma vie, mais aussi sur celle des autres, par exemple celle de ma famille qui doit continuer à vivre malgré mon suicide. Celui qui s’ôte la vie rend impossibles tous les possibles, parmi lesquels il pouvait y avoir encore du bon. Bien sûr qu’il y avait aussi du mauvais, peut-être même plus que du mauvais. C’est pourquoi, on ne devrait pas se suicider, en règle générale, mais que dans certains cas spécifiques, on devrait pouvoir décider pour soi-même.

Peut-il être légitime d’un point de vue réformé de se suicider après avoir fait le bilan de ce qu’il reste à vivre?

Jamais! Sérieusement qu’est-ce qu’il faudrait mesurer pour faire un tel bilan? Présumer que ma vie est encore assez bonne pour vivre encore un peu ou non? Si je me donne un 4 c’est suffisant, et à 3,5 j’appelle Exit? Il n’y a qu’une seule personne pour faire le bilan exact de ma vie, et c’est sûr que je ne suis pas celle-là. Un juge miséricordieux veille sur nous. Aussi longtemps qu’il me laisse vivre, mon bilan n’est pas fait. Jusqu’à mon dernier souffle, je suis encore en vie ad majorem Dei gloriam – pour la plus grande gloire de Dieu. Il n’y a pas de plus belle façon pour formuler le sens de la vie: je vis pour glorifier Dieu. C’est également vrai pour les personnes faibles, malades ou vieilles. Pour tous ceux qui font encore quoi que ce soit, ou même qui sont tout simplement. Le but de ma vie ne dépend pas de moi, mais c’est la louange rendue à Dieu. Et je L’honore jusqu’a mon dernier souffle, le plus douloureux, le plus vulnérable.

Une enquête de Reformiert a révélé que le peuple suisse est favorable au suicide des personnes âgées. Est-ce que le suicide pour cause de vieillesse peut être légitime?

Devrais-je mettre fin à mes jours simplement parce que je suis vieux? C’est ce que signifie l’expression suicide pour cause de vieillesse. Quelle idée méprisable: tu es vieux alors met fin à des jours. Et quelle bêtise: personne ne connaît aussi bien la vie que les anciens. Nous avons urgemment besoin de leur expérience. Mais notre société a une relation difficile avec l’âge on ne voit la vieillesse que comme un fardeau. La perception de l’âge est tout autre dans d’autres cultures, comme en Afrique où l’on vénère et respecte les personnes âgées. En outre, être âgé est une notion très relative. A partir de quand êtes-vous effectivement vieux? Les trois adolescents que j’ai à la maison seraient très affirmatifs sur ce point. Quand ils écoutent ma musique, par exemple, ils sourient doucement et me disent: «Papa, tu es vieux.» Est-ce que je dois me suicider?

Que dit la Bible du suicide? Peut-on en tirer une position cohérente?

La Bible parle de sept suicides Abimélek (Juges 9:50-56), Samson (Juges 16:28-31), Saül et son porteur d’armes (1 Samuel 31:4-13), Ahitofel (2 Samuel 17:23), Zimri (1 Rois 16:18-20) et Judas (Matthieu 27,5). Il n’est pas porté de jugement moral sur ces suicides. Le suicide a toujours été un cas extrême de la vie. La Bible connaît la vie. Mais le Nouveau Testament contient aussi clairement «Tu aimeras ton prochain comme toi-même», la deuxième partie est importante «... Comme toi-même.»