Crêt-Bérard, une aventure de jeunesse

La jeunesse protestante rassemblée sur la colline de Crêt-Bérard en 1950. © Fondation Crêt-Bérard
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La jeunesse protestante rassemblée sur la colline de Crêt-Bérard en 1950. © Fondation Crêt-Bérard

Crêt-Bérard, une aventure de jeunesse

Le 2 mai 1948, les jeunes protestants vaudois se rassemblent par milliers à Lausanne. Ils décident de créer une maison de la jeunesse, devenue Crêt-Bérard, Maison de l’Église et du Pays. Retour sur un élan de jeunesse.

Nous sommes le 2 mai 1948 et les habitants de Lausanne assistent à un cortège étonnant. Cinq mille jeunes protestants, venus de tout le canton, défilent dans les rues de la ville. Ils ont revêtu pour l’occasion leurs uniformes paroissiaux et portent fièrement les drapeaux et insignes de leur village, de leur paroisse et de leur district. Ils ont entre 16 et 20 ans et font tous partie des groupes de jeunes paroissiens de l’Église nationale vaudoise (ancêtre de l’Église réformée vaudoise). Sous l’impulsion du pasteur et aumônier de jeunesse cantonal Albert Girardet, ils se sont réunis pour témoigner de leur foi commune.

Le cortège traverse la ville et rejoint le stade de la Pontaise pour y vivre une célébration en plein air. Puis, d’un même élan, ils font exploser leur sac de pique-niques dans la grande halle du Comptoir suisse où ils partagent un repas, avant de terminer la journée autour d’un culte à la cathédrale. «Parce que vous êtes venus et parce que vous êtes ici, la démonstration est faite que la cause de l’Église, la cause du Christ, n’est pas abandonnée dans ce pays. Mais ce témoignage ne suffit pas, c’est dans les paroisses aussi qu’il faut l’apporter», lâche en chaire le pasteur Gérard Savary.

Le 2 mai est marqué d’une pierre blanche. Car l’aumônier de jeunesse Albert Girardet a rassemblé les jeunes pour partager avec eux une autre idée qui germe dans son esprit depuis des mois: créer ensemble une maison pour la jeunesse. Quoi de plus séduisant pour cette génération, qui, au sortir de la guerre, vit pauvrement, mais a su trouver au sein de l’Église un lieu de liberté et de distraction? C’est donc comme un seul homme que tous applaudissent le projet. Les prémisses de Crêt-Bérard, Maison de l’Église et du Pays sont nés.

Un chemin à tracer

Le 26 octobre, le projet est soumis au Synode (organe délibérant) de l’Église qui s’en réjouit, tout en assurant que l’Église ne s’engagera pas. Le pasteur Girardet comprend alors qu’il faudra multiplier les efforts pour faire de ce rêve une réalité. «Je me souviens qu’Albert Girardet était venu voir mon père, raconte en souriant Vincent Durgnat, 83 ans, jeune paroissien à Lausanne. Il voulait nous acheter un terrain à Cremières pour construire sa maison des jeunes. Mon père a refusé, affirmant que tous les beaux coins du canton avaient déjà été vendus aux Suisses-Allemands».

Le choix se porte finalement sur la colline du berger, le crêt-bérard, en patois savoyard, sur les hauts de Puidoux. Pour acheter ce terrain, les groupes de jeunes redoublent d’imagination. «Certains ont fait boucherie et vendu des saucisses. D’autres ont invité le général Guisan pour faire des conférences à Vers-l’Église. Dans mon seul groupe, à Saint-Jean, nous avons récolté 300 francs, l’équivalent de 3000 francs aujourd’hui, en montant une pièce de théâtre et en organisant une tombola», se remémore Jean Pierre Tuscher, 89 ans, alors jeune paroissien.

La parcelle achetée, les jeunes se relaient de 1949 à 1953 pour ériger, de leurs mains, cette maison de la jeunesse, de l’Église et du Pays. «J’étais dans la fouille. On s’amusait surtout à descendre à toute allure la colline dans les wagonnets pour évacuer la terre», raconte Vincent Durgnat, l’œil pétillant. Jean-Pierre Tuscher, lui, creusait les canalisations. «Il y avait même une sœur de la communauté de Saint-Loup qui, dans sa robe, maniait avec agilité la pelle et la pioche», se souvient-il amusé.

Les pierres sont offertes par le propriétaire d’une carrière de Sainte-Croix et les transports sont assurés gratuitement par un camionneur de la région. Et puis il a fallu faire venir des tailleurs de pierre d’Italie. Les frais de main-d’œuvre s’accumulent. Mais chaque jour de travail est rythmé par un office matinal à la chapelle et une prière le soir autour de la croix qui domine la colline.

Un lieu d’accueil

En 1953, la maison est inaugurée et Crêt-Bérard est organisée en fondation privée. Un pasteur résident, rémunéré par l’Église, dirige l’institution. Elle devient la maison de l’Église et du Pays. «Les jeunes avaient grandi, se sont mariés, travaillaient. Peu à peu, ils se sont désinvestis de Crêt-Bérard», explique Jean-Pierre Tuscher. Le jeune paroissien, devenu aumônier de jeunesse cantonal, connaît bien le sujet, il a siégé au Conseil de fondation de Crêt-Bérard de 1961 à 2009. Il a vu le lieu évoluer. Le premier pasteur résident Charles Nicole-Debarge a donné son style à la maison.

Il met sur pied l’office trois fois par jour, des cours, des séminaires, des veillées au coin du feu, et crée les feux de l’Avent, une coutume qui perdure aujourd’hui et qui veut que, chaque premier dimanche de l’Avent à 18h, des feux soient allumés dans de nombreux villages du canton. Pour faire vivre le lieu, il n’a eu de cesse de chercher des fonds. «Il a parcouru 800 km dans le canton tirant une charrette sur laquelle on lisait ‘Crêt-Bérard a besoin de votre soutien’. Il a créé le parfum La dame de velours qui connaît son petit succès auprès des paroissiennes. Il a même fabriqué des chips qu’il vendait sur les marchés», liste Jean-Pierre Tuscher. Il a surtout permis à des gens de différents horizons de se rencontrer. Même ceux qui ne mettaient jamais un pied à l’Église sont venus sur la colline.

Au fil des ans, Crêt-Bérard a développé la qualité de son accueil, le confort du lieu et la palette d’offres pour recevoir des personnes issues des milieux d’Église autant que des groupes professionnels venus de l’extérieur. Aujourd’hui encore, Vincent Durgnat reste attaché à la Maison. Avec son épouse, il se rend régulièrement sur la colline pour faire bénévolement de la mise sous plis au sein du groupe des «Lacis». «Crêt-Bérard subsiste et s’adapte depuis 70 ans. La palette d’activités s’étoffe et le public s’élargit. Ce que l’on trouve sur la colline n’existe pas en paroisse. Crêt-Bérard offre toujours un lieu de calme pour réfléchir, dont les gens ont besoin. En cela, la mission initiale est intacte», conclut Jean-Pierre Tuscher.

La jeunesse se relève

Hasard du calendrier, le 28 avril de cette année la nouvelle génération de jeunes réformés vaudois s’est donné rendez-vous à Renens pour la Journée cantonale jeunesse. L’objectif: réunir les jeunes réformés du canton pour faire connaissance et réfléchir ensemble à leur engagement et à leur foi. L’événement est organisé par Agora, le Synode des jeunes. Ce groupe de 23 jeunes provenant des onze Régions de l’Église vaudoise est né de la Journée cantonale 2017 et a vu le jour il y a quelques semaines seulement.

Sous le nom d’Agora, les jeunes cherchent à se fédérer, à organiser des activités cantonales et à discuter des sujets qui leur sont pertinents. «Nous avons envie de faire connaissance. Car trop souvent, nous avons des activités dans nos Régions et ignorons ce qui se passe chez les autres, explique Laure Fontannaz, déléguée d’Agora pour la Région Gros-de-Vaud – Venoge. Nous montrons que nous sommes là, que nous sommes capables de faire les choses par nous-mêmes et d’exprimer notre point de vue sur l’actualité et la vie de l’Église».

Un culte pour les 70 ans du rassemblement des jeunes se déroulera dimanche 6 mai, à 8h, à la chapelle de Crêt-Bérart.