De la surprise à la consternation

© Istock / Sean Warren
i
© Istock / Sean Warren

De la surprise à la consternation

Entretien
Deux points de vue se rencontrent autour du débat suscité par la publication, dans notre dernier numéro, du dossier sur les LGBTI (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres, Intersexes). Entretien croisé.

Comment avez-vous réagi en voyant cette image ?

JOAN CHARRAS SANCHO: Je n’ai pas été choquée, mais surprise. J’ai cru que la Suisse était plus ouverte à ce type d’image que la France puis j’ai constaté que ce n’était pas le cas. Pour nos membres d’Eglise, il faut faire attention quand on touche à la christologie. Ce qui m’a aussi surprise, c’est que la photo se soit insérée dans une stratégie de choc plutôt que de sensibilisation. 

GERARD PELLA: J’ai été choqué et fâché.  On n’est plus dans le registre de l’information, ni de la réflexion, mais dans celui de la provocation, voire de la manipulation.

A votre avis, pourquoi tant de personnes ont-elles été heurtées ? 

JCS: Beaucoup ont été choqués car ils ont pensé qu’on voulait, de force, associer Jésus à l’amour homosexuel. Or Jésus n’est pas associé de force aux situations humaines, mais il chemine avec chacune d’entre elles. La croix du christ nous accompagne dans chaque situation de notre vie et dans notre intimité. Cette image nous rappelle aussi que le christ était nu devant nous et nous sommes nu devant lui. 

GP: Ils ont probablement été heurté par la vision de deux hommes enlacés, qui suggère sans ambiguïté la relation homosexuelle. Mais surtout par l’utilisation du symbole chrétien par excellence – la croix de Jésus – pour servir la cause des LGBTI.

A votre avis, est-ce que notre média est allé trop loin? 

JCS: Il n’est pas allé trop loin, il est allé trop vite. Mais c’est une image qui permet un vrai débat théologique et qui nous renvoie à nos responsabilités. L’EERV, en faisant voter un rituel de bénédiction, a fait un pas positif, mais on est passé à côté d’une étape pédagogique et communautaire importante qui consiste à en parler en paroisse. Raison pour laquelle beaucoup de personnes ne se sont pas reconnues dans ce dossier. 

GP: Manifestement. La rédaction de Réformés s’est servie d’un magnifique outil financé par nos Eglises pour faire passer les idées d’un lobby. Sans aucun tact à l’égard de ceux et celles qui pensent autrement.

L’homosexualité est-elle un péché?

JCS: Non. Tous nos comportements, qu’ils soient sexuels, affectifs, sociétaux, sont appelés à être transformés de façon inépuisable par la venue de Jésus. C’est le cas de l’homosexualité, mais tout autant de l’hétérosexualité. La théologie inclusive considère qu’il est inutile de créer des échelles entre les différentes situations de vie. Egale dignité et égal accueil de Dieu. Et les Eglises sont là pour accompagner le cheminement de chacun.e avec Jésus. Nous sommes tous au bénéfice de sa grâce extravagante de la même façon de la même façon. 

GP: En théologie réformée, qui définit ce qui est péché? Les pasteurs? Les journalistes? Le Synode? Ou la Bible? Cela dit, je ne m’intéresse pas aux péchés mais à l’Evangile et aux personnes qui vivent tant bien que mal leur fidélité au Christ.

Quelle devrait être la place des homosexuels dans la vie des Eglises? 

JCS: Egalitaire. Les mêmes droits, la même visibilité. 

GP: La même que celle des hétérosexuels. Avec la même discrétion. Je ne sais rien de la façon dont mes amis vivent leur sexualité. Pourquoi devrais-je me prononcer sur la vie sexuelle de tel ou tel paroissien.ne ? Jésus ne s’est pas prononcé sur l’homosexualité et je voudrais pouvoir refuser moi aussi de me positionner en « pour ou contre » l’homosexualité. Qui a décrété que cette question était cruciale ? 

Cette affaire révèle t-elle des divergences profondes au sein du protestantisme? 

JCS: Oui, mais cela n’est pas un problème. Le protestantisme est pluriel. Il y a autant de protestants qu’il y a de lectures de la Bible. Et l’enjeu est de réussir à faire cohabiter, dans nos Eglises et nos paroisses, cette diversité de lectures et d’approches bibliques. Comme le rappelle Elisabeth Parmentier, cet exercice communautaire est un rempart puissant aux guerres de clocher. On réalise alors combien la Bible est une partition à plusieurs voix qui sont mises en valeur les unes par les autres !

GP: C’est évident. Le véritable enjeu n’est pas l’orientation sexuelle mais l’orientation théologique ! Les théologiens doivent-ils suivre les courants de leur culture ou les interpeller ? 

Un point d’entente est-il possible entre évangéliques et réformés sur cette question ?

JCS : Nous sommes arrivés à un consensus fort, qui est qu’on ne peut plus rejeter certaines personnes. Et aussi sur le baptême des enfants de familles homoparentales. Le consensus, c’est l’hospitalité et la bienveillance pastorale. 

GP : Votre question laisse entendre que tous les réformés pensent la même chose, ce qui est loin d’être acquis. Après 33 ans de ministère en paroisse, je me considère pleinement réformé. Je reformule donc : entre réformés de couleur arc-en-ciel et réformés de couleur évangélique, je crois que nous sommes d’accord pour refuser toute violence à l’égard des minorités sexuelles. Une violence d’autant plus choquante qu’elle est parfois justifiée par la Bible.

Que proposez-vous pour faire avancer le dialogue?

JCS: Plus de discussions au sein des paroisses. Un dialogue circulaire et communautaire, bienveillant, avec des situations et des réalités de vie différentes qui se rencontrent. C’est l’éthique de la responsabilité protestante qui est en jeu. Je dois passer du statut de personne choquée au statut de personne responsable qui tente de comprendre pourquoi je réagis ainsi. Et c’est au pasteur d’accompagner ce renversement. 

GP: Mieux construire les dossiers et expliciter honnêtement les fondements et les présupposés théologiques. Je souhaite que Réformés place l’Evangile au centre de ses préoccupations et qu’il respecte et valorise la pluralité des couleurs au sein des Eglises réformées.

Cette photo est l’œuvre d’une artiste. L’art a t-il joué son rôle? 

JCS : L’art a la même fonction que la prédication, c’est-à-dire "dé-placer" les gens. 

GP : Bien entendu. L’art est un magnifique moyen d’expression. En l’occurrence, le problème, ce n’est pas l’art, c’est l’utilisation qu’on en a fait.

Théologienne luthéro-réformée, Joan Charras Sancho mène une pastorale bénévole à la paroisse Saint-Guillaume à Strasbourg, où elle est présidente de l’antenne inclusive. Elle est co-auteur, avec Yvan Bourquin, de L’accueil radical, ressources pour une Eglise inclusive, paru chez Labor et Fides en 2015. 

Pasteur de l’Eglise évangélique réformés du canton de Vaud, Gérard Pella est membre du comité du R3 (Rassemblement pour un renouveau réformé; www.ler3.ch)