L’Église a des choses à apprendre du football

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L’Église a des choses à apprendre du football

25 juin 2018
La Coupe du monde de football vient de commencer en Russie. Des millions de personnes suivent avec passion le parcours de leur équipe nationale. «L’Église doit très certainement tirer des leçons de cette capacité à susciter l’enthousiasme», déclare Eugen Eckert, pasteur protestant de la chapelle du stade de Francfort. Entretien réalisé par Patricia Averesch, (EPD/Protestinter).

L’équipe allemande a joué son premier match le 17 juin contre le Mexique. Avez-vous prié pour sa victoire?

Eugen Eckert: Dans la chapelle du stade de Francfort, nous ne prions jamais pour voir gagner notre équipe. C’est un collectif bien entraîné, et nos joueurs sont des professionnels compétents. Pour eux, il suffit de donner le meilleur d’eux-mêmes. Nous préférons prier pour qu'un match se déroule dans les règles et qu’il n’y ait aucune blessure parmi les joueurs ou les spectateurs. Nous souhaitons aussi aider les gens à voir le football comme un jeu et à se rendre compte qu’à l’issue des 90 minutes du match, la vérité de l’existence viendra toujours se replacer sur d’autres terrains. Mais naturellement, je n’ai rien contre le fait que le foot aussi puisse nous apporter des miracles —comme lorsque la finale de la Coupe d’Allemagne a opposé l’Eintracht Francfort au Bayern Munich, nous prouvant que oui, David peut bel et bien triompher de Goliath.

L’Église protestante d’Allemagne (EKD) compte environ 22 millions de fidèles, contre les sept millions de licenciés de la Fédération allemande de football. Et pourtant, dans la République fédérale, les stades attirent bien plus que les lieux de culte. Dans quelle mesure l’Église peut-elle apprendre du football?

L’Église doit très certainement tirer des leçons de la capacité à susciter l’enthousiasme de ce sport. C’est quelque chose qu’on retrouve parfois aussi lors des congrès synodaux, catholiques, ou pour certains cultes spécifiques. Mais en règle générale, nos Églises ne peuvent offrir les rebondissements du football, qui font la différence entre victoire et défaite; l’issue des événements n’y est pas ouverte. Dans le cadre d’un culte, chaque élément, du jeu d’orgue à la conclusion, est si soigneusement préparé et calibré qu’aucune surprise n’y est possible. Bien que l’auditoire puisse se joindre aux chants et aux prières, pour le reste, il se contente d’attendre passivement la fin de la célébration. Lors d’un match, au contraire, le public est libre de réagir spontanément. Les supporters sont pleinement impliqués, avec chaque fibre de leur être —quelle différence si les Églises suscitaient une telle passion chez leurs fidèles! Par ailleurs, ce sport est un immense moteur d’intégration: en Allemagne, on aurait peine à trouver un seul club qui ne compte aucun joueur issu de l’immigration. Au contraire, ces populations se font de plus en plus minoritaires dans la plupart des paroisses. L’Église a là un énorme retard à combler.

On trouve aujourd’hui des cimetières réservés aux membres d’un même club, des cultes organisés dans le cadre du football et des albums Panini que les collectionneurs vénèrent comme la Bible. En quoi le football se rapproche-t-il de la sphère religieuse?

Il s’appuie énormément sur des symboles liés à la foi. J’y vois un profond besoin de spiritualité chez la population. Par exemple, le chemin menant au stade, le «temple du football», n’est pas sans rappeler un pèlerinage. La pelouse y est considérée comme sacrée, si bien que seuls les joueurs vêtus de «l’habit liturgique» —le maillot de leur club— sont en droit de la fouler. Ils y sont également entourés de petits, ce qui rappelle les enfants de chœur présents aux côtés du prêtre lors des cultes catholiques. Et quand le public vit une expérience unique, il l’évoque aussi par des hyperboles à caractère religieux, telles que le terme de «dieu du football». Plutôt que de critiquer ces parallèles, nous ferions mieux de nous y appuyer, en touchant les populations éloignées de l’Église là où persistent des points de contact: dans l’expérience quasi religieuse du football.

 

Plus de 600 paroisses allemandes diffusent la Coupe du monde

 

Regarder les matchs de foot dans des églises. En Allemagne, plus de 600 paroisses protestante et catholique proposent à leurs fidèles un temps de communion autour de ce sport.

 

À l’occasion de la Coupe du monde de football organisée en Russie, près de 600 paroisses allemandes ont demandé une licence afin de pouvoir diffuser les matchs. «On compte parmi elles 417 églises protestantes et 162 catholiques», précise Gabi Schilcher spécialiste de ce sport auprès de la société allemande en charge de la gestion des droits d’auteur (GEMA). Les licences peuvent être obtenues pendant toute la durée de la Coupe du monde. «L’expérience a montré que les demandes continuent à se multiplier au cours de la compétition, en fonction de la progression de l’équipe nationale.»

Le nombre total de licences demandées par les entreprises, organisations, associations et cafés n’est évalué qu’après le début de la compétition. «Il est possible de s’inscrire pendant toute la durée de la Coupe du monde, par exemple si on ne souhaite diffuser qu’un seul match. Les paroisses sont très intéressées, car les projections publiques sont l’occasion d’une véritable communion.»

En réponse aux nombreux supporters se demandant pourquoi la GEMA encaisse de l’argent pour de telles projections, l’experte explique: «La raison tient au lien étroit entre Coupe du monde et musique. L’ensemble de l’événement s’accompagne d’une multitude d’hymnes et de chansons diffusées dans un but festif ou publicitaire, dont les auteurs et interprètes touchent légitimement des droits.» On peut y ajouter la participation des journalistes, également rémunérés pour la reprise de leurs interventions. La GEMA propose une licence unique englobant l’ensemble des droits de ces trois groupes: auteurs-compositeurs, interprètes et journalistes. L’argent ainsi récolté leur est ensuite reversé en échange de l’exploitation de leurs œuvres.

20% de rabais pour les paroisses

D’après la GEMA, les paroisses protestantes désireuses de diffuser des matchs bénéficient généralement d’une remise de 20% en vertu d’un accord global entre la société et l’Église protestante d’Allemagne (EKD). «Il existe un tarif spécial ouvrant l’accès à tous les matchs. Il s’élève à 85 euros pour la diffusion de l’ensemble de la compétition dans un lieu de réunion de 200 mètres carrés maximum», explique Gabi Schilcher. Pour les espaces allant jusqu’à 400 mètres carrés, le prix est de 170 euros, réduction comprise.

Autre option: payer chaque match individuellement. Pour les paroisses, un investissement de 27 euros pour un public de 150 personnes maximum. Ces licences sont valables pour les projections publiques à caractère non événementiel, ce qui implique notamment que l’accès y soit gratuit. Le tarif est différent pour les manifestations événementielles, par exemple celles qui disposent d’un programme spécifique et d’un prix d’entrée.

 

Christine Xuân Müller, Berlin/Munich, EPD/Protestinter