Genou à terre !

Les joueurs des Buffalo Bills mettent un genou à terre avant le début du match ( Atlanta, 1er octobre) © Keystone / AP
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Les joueurs des Buffalo Bills mettent un genou à terre avant le début du match ( Atlanta, 1er octobre) © Keystone / AP

Genou à terre !

5 octobre 2017
Chronique
En signe de protestation, de nombreux sportifs mettent un genou à terre lors de l'hymne national des Etats-Unis. La théologienne Muriel Schmid décrypte les enjeux symboliques et politiques qui accompagnent ce geste.

Ces derniers jours, le geste du footballeur américain Colin Kaepernick fait beaucoup de bruit! Nombreux sont celles et ceux qui le reprennent sur le terrain de football en particulier, mais aussi à l’assemblée du Congrès américain, à la télévision et dans certaines classes d’école. En fait, le geste de Kaepernick a eu lieu il y a 13 mois avant les présidentielles américaines; la vague qui surgit aujourd’hui y fait écho dans un contexte politique post-élections extrêmement tendu et le geste de Kaepernick a fait des adeptes.

Lorsqu’on pense au geste de l’agenouillement, on imagine un geste d’humilité et de respect: quelqu’un qui prie, une demande en mariage, les rois mages visitant Jésus, le chevalier devant son roi… mais on ne le perçoit pas comme un geste de rébellion! Pourtant, dans le contexte actuel de la politique américaine, cette posture se voit aujourd’hui attaquée par une frange de la population et des politiciens qui y voient un geste irrespectueux. Comment en est-on arrivé là? 

En août 2016, Kaepernick s’agenouillait durant l’hymne national américain lors d’un match qui avait lieu à San Francisco. Kaepernick avait expliqué alors son geste comme un acte de solidarité avec le mouvement Black Lives Matter: «Je ne vais pas fièrement faire face au drapeau d’un pays qui oppresse les noirs et les personnes de couleur ; pour moi, l’enjeu est plus grand que le football et ce serait égoïste de ma part de détourner le regard.» Ce faisant, il suivait une tradition de stars sportives qui avaient dans le passé usé de leur visibilité pour protester contre la politique du moment: Muhammad Ali en 1967, Tommie Smith et John Carlos en 1968, Vince Matthews et Wayne Collet en 1972… Afro-américains, eux aussi, mais qui avaient choisi un autre geste que l’agenouillement. 

L’agenouillement de Kaepernick a résonné pour beaucoup comme une allusion indirecte au geste de Martin Luther King qui, le 1er février 1965, s’agenouillait devant la prison de Selma en Alabama. Après la fameuse marche dont la répression imposa aux participants d’extrêmes brutalités et des arrestations massives, Martin Luther King et ses acolytes s’agenouillèrent dans la rue en signe de résistance contre la violence policière. Le 23 septembre dernier, la fille de King elle-même twittait en parallèle l’image de son père à Selma et celle des joueurs de football un genou à terre. 

Plus ancien encore, un médaillon en camée produit en 1787 par Josiah Wedgwood (oui, de la faïence!), abolitionniste britannique passionné et convaincu, est vu par certains comme l’origine de ce geste. Pour la production de ce médaillon, Wedgwood reprend le dessin d’un compatriote, William Hackwood, qui montre un esclave noir, enchaîné et agenouillé au-dessus de l’inscription: «Ne suis-je pas un homme et un frère?» Produit à la fin des années 1780, ce médaillon avait été créé tout d’abord pour les membre de la société qui luttait contre la traite esclavagiste (Anti-Trade Slavery Society), mais également pour une distribution large afin d’attirer le soutien populaire sur le mouvement abolitionniste. Mission accomplie! Cette représentation est devenue l’image la plus connue représentant un esclave durant les 18e et 19e siècles.

L’insulte du Président n’a fait que raviver une longue histoire de revendications de la part des afro-américains
Muriel Schmid

L’hymne national est souvent reconnu par les citoyens d’un pays mais il est rarement connu. Il en va de même aux États-Unis où les sondages estiment que 2/3 des américains n’en connaissent pas les paroles et surtout n’en connaissent pas l’origine. Le débat autour du mouvement Take-A-Knee a au moins l’effet intéressant de voir dans de nombreux médias une explication de son origine

Écrite en 1814 par Francis Scott Key après la bataille de Baltimore qui infligea de lourdes pertes aux troupes britanniques et américaines, cette composition a été adoptée comme hymne national qu’en 1931. Key a mené une carrière d’avocat et de procureur et a pris position contre l’abolition de l’esclavage. La 3ème strophe de son hymne en porte la trace et s’attaque directement aux anciens esclaves qui servaient dans l’armée britannique. Chaque strophe se termine par le rappel que le drapeau étoilé flotte toujours et encore «au-dessus du pays des hommes libres et la demeure des hommes braves» (over the land of the free and the home of the brave). La plaisanterie veut que la note du mot «free» soit en fait inatteignable ! 

Tous ces éléments éclairent le geste de Kaepernick et sa reprise actuelle. L’insulte du Président n’a fait que raviver une longue histoire de revendications de la part des afro-américains ; à la lumière de la montée de l’extrême droite sous la semi-approbation de Trump, pas étonnant que ces joueurs aient choisi ce geste précis pour manifester leur solidarité avec toute personne souffrant d’injustice raciale. Dans une culture où l’homme noir est dépeint comme violent et se voit emprisonné à un taux dévastateur, un tel geste devient effectivement un geste de résistance non-violente et de rébellion. Et pour ces footballers, peut-être est-ce un geste de prière aussi qui prend à témoin ce Dieu dont se réclament nos démocraties, implorant: «Ne suis-je pas un homme? Ne suis-je pas davantage qu’un corps acheté, vendu et exploité?»

Que celles et ceux qui ont des genoux, s’agenouillent! Il est temps.