Elise Cairus: «Dieu aussi a de l’humour!»
Dans une époque où l’ironie sur la religion est toujours plus cadrée, ce livre montre subtilement l’humour biblique.
Photo: Elise Cairus DR
Le premier livre d’Elise Cairus, doctorante en théologie pratique, l’humour des Evangiles, n’est pas un livre de blagues et s’adresse avant tout à un public large. Il présente quinze passages bibliques choisis par l’auteure où la Bonne Nouvelle et le second degré se marient avec subtilité. Interview.
Ce livre fait suite à un colloque sur l’humour et spiritualité en lien avec votre thèse sur l’accompagnement spirituel. Mais comment peut-on lier les deux, l’ironie et l’accompagnement spirituel?
Pour attirer l’attention de quelqu’un, dans la vie de tous les jours, nous usons beaucoup de l’humour, consciemment ou inconsciemment. L’humour, dans un entretien, crée du lien, suscite la distance nécessaire, interpelle, questionne, conforte et réconforte… Tout à coup, il y a une accroche qui fait que la personne s’ouvre. Il y a quelque chose qui raisonne en elle. Et certains récits du Nouveau Testament sont un moyen différent pour entrer en lien avec une personne. Ils sont assez parlants et on peut facilement se les imaginer. Par exemple, avec l’histoire de Zachée, on pourrait la mettre en scène au cinéma avec des acteurs assez drôles. J’ai pensé à Louis de Funès, parce qu’il incarne le burlesque. Mais ça pourrait être des acteurs qui se moquent d’eux même, comme Christian Clavier ou Rowan Atkinson (Mr. Bean).
Et justement, que pouvez-vous nous dire sur l’histoire de Zachée, ce collecteur d’impôt?
Il s’agit surtout d’un comique de situation: un petit bonhomme qui se fraye un chemin pour voir Jésus. Et ce que j’aime chez Zachée c’est sa curiosité, cette envie de vouloir se faire un avis par lui-même. Le retournement de situation est incroyable: Jésus décide d’aller manger chez lui, et pas chez ces pieuses personnes qui prennent les rites religieux au pied de la lettre. C’est ça l’humour de Dieu: il choisit le premier. La pire crapule peut justement recevoir la révélation, si elle choisit de dire «oui» à la proposition divine. C’est un petit clin d’œil, c’est une ironie subtile. Dieu aussi a de l’humour!
Dans votre livre, vous parlez de l’humour juif. Comment pouvez-vous le décrire?
Les juifs sont les premiers à rire d’eux-mêmes. C’est dans leur culture. Dans les situations terribles, ils ne perdent pas la foi, ils rient d’eux-mêmes, c’est un mécanisme de défense et ils se disent que ce n’est pas dramatique. Ils vont de l’avant. C’est rire pour ne pas pleurer. La citation de Woody Allen, qui est juif, montre bien cela: «Si Dieu existe, j’espère qu’il a une bonne excuse !»… Je pense que les juifs ont cette capacité de rebondir grâce au fait qu’ils ne se limitent pas au premier degré des situations. La Bible elle-même demande cette exigence d’interprétation, d’approfondissement qui invite à entrer dans les textes et à en saisir le sens mystérieux.
C’est subtil. Il y a de l’ironie, du sarcasme, du comique de situation, ainsi que le quiproquo. S’ils rient volontiers d’eux-mêmes, ils ne se moquent par contre jamais de leurs textes sacrés. C’est quelque chose qui permet de panser les plaies, les blessures. C’est un humour thérapeutique, de salut.
On dit souvent qu’on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. Qu’en pensez-vous?
Rire de tout, oui, mais il faut faire attention à l’interlocuteur, ne pas le heurter. L’humour demande de l’humilité aussi, ça veut dire que ce qui me fait rire ne va pas forcément faire rire tout le monde. Il faut être respectueux de l’autre. Et si on dépasse une barrière, il vaut mieux s’abstenir. On le voit bien avec l’exemple des caricatures de Charlie Hebdo. Ça a heurté certaines personnes et ça ne les a pas du tout fait rire.
La limite c’est donc le respect de l’autre et de ses convictions. Je pense qu’aujourd’hui, il y a des choses que l’on ne peut clairement plus dire. La liberté d’expression est plus cadrée. Alors qu’à l’époque il y avait les disputes, des débats rhétoriques, qui pouvaient aller loin. Il y avait une façon de se parler. Et maintenant, il vaut mieux être politiquement correct, et ce dans tous les domaines. L’humour ne doit pas être un alibi pour excuser tout comportement ou toute parole dépassant un certain cadre…
Quelle place a le rire dans le christianisme, selon vous?
Il y a toute sa place même si on ne le remarque pas tellement… A Pâques, dans la tradition de l’Eglise, surtout au Moyen Age, le prêtre était tenu de faire rire son auditoire pour célébrer la résurrection du Christ. Je constate que le pape François essaie de renverser la tendance en répétant souvent qu’un vrai chrétien ne doit pas faire une tête d’enterrement pour annoncer le Christ… Et il a raison!