Les Eglises de migrants : une chance à saisir

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Les Eglises de migrants : une chance à saisir

Gabrielle Desarzens
23 septembre 2010
Chorale africaine à la cathédrale de Lausanne © Martin Hoegger

L’émergence de nouvelles Eglises de migrants est une déferlante en Europe. Elle concerne avant tout les milieux protestants avec l’éclosion de nouvelles communautés d’expression évangélique. Faut-il en avoir peur ?



« Au-delà des ponts à tisser ou non avec ces différentes communautés se pose la question d’un « Vivre ensemble » chrétien qui reste à construire », résume  le pasteur réformé Antoine Schluchter à Villars-sur-Ollon. Nous sommes actuellement en Suisse en présence d’une nouvelle carte du religieux. Si le pays était chrétien avec une majorité de protestants et 40% de catholiques vers 1900, de nouveaux mouvements religieux et des Eglises de migrants sont apparus dès les années 60 et 70.

Selon une étude de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), l’arrivée de chrétiens des pays du Sud et de l’Est a entraîné ces dernières années la création de plus de 300 nouvelles Eglises sur sol helvétique, alors qu’on en connaissait moins de 50 il y a 40 ans.

Dans cette expérience de quitter un contexte plus difficile, le migrant est quasiment dans une logique de survie, indique Antoine Schluchter. « Les sociologues parlent même d’une logique de conquête, en disant que ces nouvelles communautés de migrants sont en train de conquérir le domaine et le marché spirituel. »

De fait, leurs membres sont souvent plus religieux, explique Joerg Stolz, directeur de l’Observatoire suisse des religions à l'Université de Lausanne. Ce qui est l’une des caractéristiques des ressortissants de pays moins développés. Et une caractéristique qui s’accentue par la migration elle-même, car le réseau social est souvent tissé autour de la religion et le migrant devient ici souvent plus religieux qu’il ne l’était précédemment.

Entre risque et chance

Est-ce un risque ou une chance à saisir pour la société suisse ? « Tout dépend d’où l’on parle, des valeurs que l’on a, estime Joerg Stolz. Certains évoquent ce phénomène en termes de risque, d’une perte d’identité. D’autres y voient une chance en termes d’innovations. Parce que le métissage est toujours utile à un pays. »

Dans la zone industrielle de Bussigny, à l’ouest de la capitale vaudoise, l’Eglise évangélique Lazare a réussi le pari de célébrer des cultes avec plus de 30 nationalités différentes en présence. « Nous n’avons pas de recettes, déclare son pasteur Roland Ostertag. Mais peut-être que des personnalités comme le pasteur Jean-Pierre Besse qui a développé un ministère auprès des migrants par l’accueil ont favorisé cette diversité au sein de l’Eglise. »  A noter que l’expression pentecôtiste de la communauté a également fait mouche auprès de cette population, pour qui les cultes célébrés dans les Eglises historiques manquent souvent de vie.

Difficile en effet pour un Africain par exemple de se sentir à l’aise dans une célébration sans chanter librement et danser : « cela fait partie de sa culture et de sa manière de louer Dieu », confirme à Genève le pasteur Joseph Kabongo, secrétaire général de la Conférence des Eglises africaines de Suisse (CEAS), et pasteur d’une Eglise d’expression africaine à Aigle. Une communauté qui rejoint aujourd’hui la sensibilité de plusieurs Suisses.

L’Eglise, un lieu de mémoire

« Dans notre monde globalisé, on ne peut plus se contenter de dire que l’on croit à l’Eglise universelle : il nous faut l’appliquer concrètement, encourage Antoine Schluchter. Et réaliser que, à l’image d’une mosaïque, c’est le rassemblement de tous ses morceaux épars qui fait de l’Eglise quelque chose de plus beau. »

Assis dans un fauteuil de sa maison d’Edition L’Age d’Homme à Lausanne, et naturellement entouré de livres, Vladimir Dimitrijevic est un migrant de longue date. Il indique avoir quitté son pays, la Yougoslavie, en 1954, pour des raisons « spirituelles et politiques ». Le rôle de l’Eglise ? « Cela doit être quelque chose qui ressemble à une famille, estime-t-il. Il faut que l’échange y soit égal et profond entre ses membres. Et l’Eglise doit être ce lieu où l’on donne des leçons du passé. » 

« C’est un lieu de mémoire et de recherche d’identité », confirme à ses côtés le Père orthodoxe serbe Borgoljub Popovic. Une façon de dire que les Eglises de migrants sont aujourd’hui le lieu privilégié où s’effectue ce travail identitaire qui permet ensuite aux intéressés de mieux entrer en relation avec autrui.

INFOS

  • Les Eglises de migrants font l’objet d’une série A vue d’esprit sur Espace 2 du 27 septembre au 1er octobre, tous les jours à 10h30.
  • Les nouvelles Eglises de migrants en Suisse, Etude de la FEPS, Berne : 2009, téléchargeable sur www.feps.ch
  • La nouvelle Suisse religieuse, Martin Baumann et Joerg Stolz, éd. Labor et Fides : 2009