Grand Rapids: une même voix pour les protestants
Par Aline Bachofner
«Les protestants doivent parler d’une seule voix claire et audible s’ils veulent avoir une chance d’être entendus», soutient Gottfried Locher, le président fraîchement élu de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) et un des cinq vice-présidents de l’ARM.
A l’origine de cette nouvelle structure, appelée Communion mondiale des Eglises réformées (CMER), la fusion des deux plus grandes institutions réformées: l’Alliance réformée mondiale, 218 Eglises membres, présente dans 108 pays et représentant 76 millions de croyants, et le Conseil œcuménique réformé, 39 Eglises membres, principalement actif en Afrique et en Asie, représentant 12 millions de protestants.
C’est David qui s’unit à Goliath. Cette fusion n’a pourtant rien de contre-nature: vingt-sept Eglises membres du COR sont déjà affiliées à l’ARM et le rapprochement des deux institutions remonte à plusieurs années. «Il s’agit d’un mouvement naturel, assure Gottfried Locher. Mais il faut désormais se mettre d’accord sur les termes de la vie commune. »
Les libéraux et les conservateursL’ARM et le COR reflètent en effet deux tendances parmi les réformés. La première, issue d’une alliance d’Eglises réformées et presbytériennes fondée en 1875, a fait de l’engagement éthique sa priorité. En 1982, elle déclarait que l’apartheid était un péché et sa justification théologique une hérésie.
L’année suivante, elle appelait à une mobilisation mondiale en faveur de la justice et de la sauvegarde de la création. « Cette lutte pour la justice, menée depuis plus de vingt ans, a trouvé une forme aboutie en 2004 dans la ‘Confession d’Accra’, sorte de manifeste pour une éthique de l’économie globalisée», précise Pia Grossholz-Fahrni, vice-présidente du Conseil synodal de l’Eglise de Berne-Jura-Soleure, qui s'envole pour Grand Rapids.
De son côté, le COR a été formé en 1946, principalement par des Eglises hollandaises. «C’était une réaction à la création du Conseil œcuménique des Eglises, jugé trop libéral", explique Serge Fornerod, directeur du département Eglises en relation de la FEPS, en partance lui aussi pour Grand Rapids. De tendance néo-calviniste, le COR fait de l’intégrité biblique et confessionnelle sa valeur première et est l’héritier de la tradition piétiste et séparatiste.
La Communion mondiale des Eglises réformées parviendra-t-elle à concilier les positions des deux entités? Les divergences ne sont pas tant entre les deux institutions qu’en leur sein, estime Serge Fornerod. « L’ARM doit composer avec une Eglise australienne qui refuse d’ordonner des femmes et des pasteurs samoans polygames… Les débats à mener sur ce qui rassemble et sépare les Eglises réformées sont nombreux, mais ce qui importe à Grand Rapids, c’est de commencer ce processus», poursuit le pasteur.
Dialogue oecuménique tenduSi les réformés resserrent les liens, c’est que le contexte international et le dialogue œcuménique se font plus tendus. «Cela fait plusieurs années que l’œcuménisme fait du sur place, déplore Pia Grossholz-Fahrni. Les catholiques et les orthodoxes ont opéré un rapprochement et de ce fait, les protestants ont été un peu mis à l’écart. »
De même, pour faire connaître leur engagement en faveur de la justice économique et écologique, les protestants ont intérêt à déléguer un véritable pouvoir à la nouvelle institution qui les représente au niveau mondial.
La privatisation de l’eau et ses conséquences sur les populations dans les pays en voie de développement seront au centre d’un atelier de travail à Grand Rapids. Pia Grossholz-Fahrni, vice-présidente de l’Eglise Berne-Jura-Soleure y participera sur mandat de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS). Cette organisation s’était distinguée dans la lutte pour l’eau en 2006 en faisant adopter une déclaration «L’eau pour la vie» à l’assemblée générale du Conseil œcuménique des Eglises (COE) au Forum social de Porto Alegre, une alternative sociale au Forum économique mondial de Davos.
« Les Eglises suisses ont travaillé en partenariat avec les Eglises brésiliennes pour déclarer que l’eau est un droit humain et un bien public », rappelle la Bernoise. Une position claire prise par les Eglises suisses, qui s’opposaient ainsi ouvertement aux tentatives de privatisation de plusieurs sources au Brésil par des multinationales.
Dans la déclaration adoptée à Porto Alegre, le COE s’engageait à entamer le dialogue avec les gouvernements et les grandes entreprises pour préserver l’accès à l’eau. A Grand Rapids, Pia Grossholz-Fahrni espère relancer le processus et élargir le réseau des Eglises luttant pour la gratuité d’un bien essentiel à l’humanité. En 2006, un milliard deux cent millions de personnes étaient menacées par le manque d’eau potable.Rendez-vous à Grand Rapids
- Du 18 au 28 juin, un millier de représentants de 230 Eglises réformées du monde entier se retrouveront dans le Michigan, à Grand Rapids, pour participer à la naissance de la Communion mondiale des Eglises réformées (CMER).
- Le mandat de la CMER sera de mettre l'accent sur l'unité de l'Eglise réformée et sur les programmes sociaux. Le personnel sera ensuite basé au Centre œcuménique de Genève, qui abrite également le Conseil œcuménique des Eglises (COE), avec lequel le CMER entretiendra des relations de coopération.
L’Alliance réformée mondiale a été fondée en 1970, en regroupant une organisation liant des Eglises presbytériennes, créée en 1895, et une autre rassemblant surtout des Eglises congrégationalistes, datant de 1891, peut-on lire dans un communiqué de la FEPS. D’autres courants d’Eglises réformées comme des Eglises unies, hussites ou vaudoises en font aussi partie.
De son côté, le Conseil œcuménique réformé a été créé en 1946 (sous le nom de Synode réformé œcuménique), en réaction à la création du Conseil œcuménique des Églises jugé trop libéral. Il regroupe surtout des Eglises réformées liées au mouvement de la Seconde Réformation hollandaise. Les deux tiers environ sont également membres de l’ARM. Dans les deux organisations, la grande majorité des membres se trouvent dans les pays du Sud.
Il existe encore de nombreuses autres Eglises réformées dans le monde, qui sont partiellement intégrées dans l’Alliance évangélique mondiale, de tendance plus conservatrice et fondamentaliste.